Gravitropie (une somme de désordres possibles) de Julien Reynès
Le spectacle de Julien Reynès place cinq [...]
Il est l’un des talents les plus entiers et les plus singuliers de la scène européenne. Onze ans après sa version initiale, Joël Pommerat propose une magistrale recréation de cette mosaïque de fragments explorant le mythe de l’amour. Un théâtre total, tout en contrastes et ambivalences, porté par d’éblouissants interprètes.
Vertigineux. En amour, ce n’est pas « la raison ordinaire qui doit parler, c’est autre chose » dit un personnage. Que signifie cette « autre chose » ? Le geste théâtral de Joël Pommerat plonge au cœur de cet infini qui défie la raison avec une impressionnante maestria qui laisse voir toute la complexité des liens humains, qui les révèle de manière intense, ambivalente, bouleversante. Au détour d’une réplique ou d’un geste toutes sortes d’hypothèses émergent, des gouffres intérieurs se dessinent, des vérités se faufilent ou se démentent. Et malgré les malheurs, l’humour et sa réjouissante distance sont distillés avec une science qui fait mouche. En une vingtaine de situations concrètes sans lien les unes avec les autres, Joël Pommerat et les siens explorent un champ de possible – ou plutôt d’impossible, tant s’expriment l’absence d’amour, le manque, la rupture, les désirs qu’on enterrent, ceux qui surgissent… L’espace noir, quasi nu, pourrait de prime abord laisser craindre une tonalité déprimante, mais cette traversée, magistralement sculptée par les lumières d’Éric Soyer, s’avère d’une incroyable vitalité. Séparées par des fondus au noir virtuoses à la technique millimétrée, les situations s’aventurent dans des zones nourries de contrastes et dysfonctionnements : du vaudeville familial d’un mariage gâché à cause de révélations de dernière minute à la tragédie d’un couple dont l’épouse est frappée par la maladie d’Alzheimer, d’un quotidien troublé par la venue d’un amour ancien à la rupture avec une prostituée qui elle y croyait, le vernis des apparences se craquelle, le tumulte enfoui de la vérité fait surface et fout en l’air la routine établie.
Une alchimie saisissante
À l’instar de la scène inaugurale, pouvant rappeler la matière de Scènes de la vie conjugale de Bergman, lors de laquelle une femme explique avec tranquillité qu’elle veut divorcer parce qu’« il n’y a pas d’amour » dans son couple. À l’instar d’une confrontation glaçante au retour d’une colonie de vacances. Si le dispositif auparavant bifrontal a changé, les comédiens et comédiennes Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli et Maxime Tshibangu sont les mêmes qu’en 2013, d’une éblouissante précision et d’une profondeur déchirante. L’ordinaire et l’extraordinaire, la légèreté et l’effarant se mêlent en une alchimie qui reflète l’ironie de la vie, de manière empathique mais aussi tranchante. On pense à Tchekhov qui dans une lettre confia à propos d’Ivanov : « Je mène tout l’acte tranquillement et doucement, mais à la fin, pan dans la gueule du spectateur ! » Sauf que là, c’est plutôt tout au long des scènes, par petites touches, par des rebonds furtifs ou des éclats inattendus que nous sommes saisis. Malgré la fragilité de l’art si éphémère du théâtre, il est heureux que de telles œuvres puissent renaître. Au fait, pourquoi ce titre ? Vous le découvrirez, au détour d’un dialogue… Ce qui est sûr, c’est qu’à l’inverse des antagonistes Corées la scène et le public sont ici bel et bien réunis par la magie d’un instant théâtral de haut vol.
Agnès Santi
Du mercredi au vendredi à 20h ; le samedi à 20h30 ; le dimanche à 16h. Tél. : 01 42 08 00 32. Durée : 1h50.
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