La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Jean-Pierre Vincent

Jean-Pierre Vincent - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 septembre 2010

Du Marivaux en concentré

Jean-Pierre Vincent revient au Théâtre Nanterre-Amandiers (CDN qu’il a dirigé de 1990 à 2001) avec les Acteurs de bonne foi. Une pièce de Marivaux avec laquelle le metteur en scène entretient « depuis (presque) toujours une relation de travail excitante et jubilatoire ».

Quelle relation particulière vous lie aux Acteurs de bonne foi ?
Jean-Pierre Vincent : Il y a des pièces qui vous accompagnent secrètement toute la vie. Vous les montez, une fois ou davantage, ou même vous ne les montez pas. Elles sont des compagnes, des amies, des repères auxquels viennent se confronter les autres pièces… Pour moi, Les acteurs de bonne foi fait partie de ce petit cercle. J’ai mis en scène cette œuvre en 1970, j’y suis revenu souvent dans des stages de sélection pour les grandes écoles, mais bien plus : j’y pense en silence assez souvent. Cette pièce n’est peut-être qu’une esquisse, mais entre les lignes on peut déceler une réserve de thèmes actifs, un terrain de recherche privilégié pour les acteurs : comment, par quels moyens en montrer tout le sous-texte ? Chaque mot pèse lourd. Théâtre et réalité, amour et désamour, jeux de pouvoir entre femmes, riches et pauvres, c’est du Marivaux en concentré ; et c’est très virtuose.
 
La langue de Marivaux structure et détermine la matière théâtrale de ses pièces. De quelle façon souhaitez-vous que les comédiens appréhendent cette langue ?
J.-P. V. : « Toute pièce est écrite dans une langue étrangère qu’il nous appartient de comprendre et de traduire ». C’est Edward Bond, je crois, qui disait cela, en substance. Oui, il y a un étrange parfum, un rythme vital unique dans la langue de Marivaux. On peut chercher à expliquer, rationaliser, cerner cette langue, mais c’est beaucoup une affaire d’instinct et de musicalité de la part de l’acteur. Je crois que ce dernier doit d’abord s’appliquer à jouer l’une après l’autre, très concrètement, les pensées du personnage, qu’il doit en guetter les contradictions, les trous noirs. La langue viendra d’elle-même : la musique n’est pas écrite. Chaque acteur a aussi la sienne ! Et puis, voyez cette fameuse langue : elle n’est pas la même selon que Marivaux écrit pour les Français ou pour les Italiens, pour la merveilleuse Silvia, par exemple. Elle n’est pas la même non plus selon que la pièce est en cinq actes ou en un acte. Chaque œuvre de Marivaux a aussi sa sous-langue…
 
« Il y a un étrange parfum, un rythme vital unique dans la langue de Marivaux. »
 
Vous envisagez Les acteurs de bonne foi comme « un chef d’œuvre dont les perspectives historiques et la violence latente n’ont d’égal que la transparence lumineuse »…
J.-P. V. : Un peu de marxisme ne fait jamais de mal ! Cette pièce traduit une réalité historique connue : les alliances multiformes entre l’aristocratie parisienne et les bourgeoisies de tous étages, de toutes provinces. Dans Les acteurs de bonne foi, ces alliances se nouent entre les richissimes parisiens et les populations moins fortunées des campagnes, populations qui sont à pied d’œuvre pour faire travailler les paysans et faire régner l’ordre. Il y a des tensions entre fractions de la classe riche – en particulier sur le plan culturel – et fractions de la domesticité citadine, de la paysannerie… Marivaux n’est pas Zola, mais il n’ignore pas le monde où il vit.
 
Dans cette œuvre, Marivaux explore également les relations qui se jouent entre l’illusion et le réel. Mettre en scène cette pièce, en 2010, revient-il pour vous à interroger, à mettre en perspective la complexité de telles relations dans le monde d’aujourd’hui ?
J.-P. V. : Interroger ? Oui, mais pas pour le seul plaisir d’interroger : interroger pour élucider. Si cette fable peut servir en 2010, c’est justement dans l’écart, et non dans un illusoire rapprochement avec aujourd’hui. Si mise en perspective il y a, elle est historique. Quand je monte une pièce du passé, je le fais en homme d’aujourd’hui, avec des femmes et des hommes d’aujourd’hui, mais en tant que femmes et hommes historiques. Nous sommes des êtres historiques, on a trop tendance à oublier, voire à nier cette vérité. Cela va d’ailleurs avec la négation de la mort, dans le même mouvement. Nous ne sommes pas nés de la dernière averse : nous sommes les produits d’une Histoire. Et dans cette Histoire, bien des choses évoluent et changent plus ou moins rapidement ; d’autres ne changent pas, ou pratiquement pas. Certaines s’améliorent, d’autres se dégradent. Certaines meurent puis reviennent… Assister à une pièce du passé – forcément revue aujourd’hui, nous ne sommes pas des archéologues – c’est recevoir ce qu’elle a à nous dire. Et une pièce actuelle est forcément déjà un peu du passé…
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


Les Acteurs de bonne foi, de Marivaux ; mise en scène de Jean-Pierre Vincent. Du 17 septembre au 23 octobre 2010. Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h30. Théâtre Nanterre-Amandiers, 7, avenue Pablo-Picasso, 92022 Nanterre. Réservations au 01 46 14 70 00 et sur www.nanterre-amandiers.com. Durée du spectacle : 1h20.

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