La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Jean-Pierre Larroche

Jean-Pierre Larroche - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 mars 2008

Bafouilles : Trafics en tout genre pour confondre la réalité

Les pièces de Jean-Pierre Larroche regorgent de trouvailles et dispositifs poétiques, singuliers, inattendus et malicieux. Bafouilles dévoile un univers insolite, disparate, énigmatique et ludique, où le rapport entre le comédien, l’espace, le mouvement, les mots et les objets déjoue l’ordre convenu, le réel et le rationnel, et expérimente l’idée de passage entre monde visible et invisible.

Votre projet a été pensé à partir d’un recueil de textes réunis par G.K. Bradcock-Burnaby en 1863, avant de s’inspirer davantage d’un personnage tiré d’un roman de Robert Pinget, Mahu. Pouvez-vous expliquer l’évolution du projet ?
Nous sommes entrés dans ce spectacle – Bafouilles – par la porte de ce recueil de textes concernant la magie et les fantômes, et nous en sortons par une autre, toute différente. C’est souvent comme ça que les choses avancent… Des textes de G.K Bradcock-Burnaby, qui ne sont donc plus exactement au centre du spectacle, il demeure des expérimentations sur le langage des fantômes, certaines formes de disparitions et métamorphoses, la circulation des objets et des êtres entre les mondes visible et invisible,  et les arrangements d’objets liés par un réseau de « ligatures » invisibles. C’est encore tout un programme ! Notre « centre » maintenant est occupé par un personnage : Mahu, tiré d’un roman de Robert Pinget (Mahu ou le matériau). C’est un personnage sans histoire, qui n’a pas besoin d’histoire pour parler. Chez lui, seuls nous intéressent son acharnement et son obstination à penser le monde qui l’entoure. Nous l’invitons chez nous et il nous tire dans son monde de questions, et en chemin il rencontre avec nous des fantômes. Les quatre interprètes sont accompagnés par des « intrus », qui traversent le spectacle un peu comme des fantômes au début, puis comme des visiteurs envahissants.
« J’aime trafiquer l’ordre des faits, le temps, les échelles du regard, les liens des causes et des effets… »
Que dit Mahu ?
Il parle de l’à peu près, des choses tirées par les cheveux, de la comparaison, du futur loufoque, du mot qui vient et qu’on ne peut pas dire, de l’équilibre des hommes, de ce qu’il voit sur son visage quand il se rase… Il dit qu’on ne peut rien raconter. Il parle beaucoup du temps (paradoxal, contraire et confus). Il a un point de vue au sens premier du terme : il regarde le monde qui l’entoure à partir d’un point très précis et singulier. Mahu est toujours au travail avec la pensée. Il n’est pas contemplatif, il observe les faits et les dispose comme sur une scène où il avance d’une idée à l’autre et fait d’apparents coqs à l’âne. Mahu parle en questions : celles de la pensée qui avance (ses questions n’attendent souvent pas de réponses), celles de l’invective à l’égard du monde et des hommes.

Comment s’établissent les disparitions, métamorphoses, circulations et arrangements d’objets et d’êtres dont vous parlez ?
Ils s’établissent souvent tout seuls, malgré nous, contre nous… Il faut les prendre au piège pour leur donner une forme. S’il y a des codes qui les régissent, ils sont très divers, à l’image des textes disparates réunis par G.K Bradcock-Burnaby. Dans Les formes du Semblable, il décrit par deux fois dans le détail (mais d’une façon légèrement différente) la même scène à la façon du jeu des 7 erreurs ; quelques éléments de la scène disparaissent, d’autres subissent de façon imperceptible de toutes petites modifications. Dans La prestidigitation en cinq leçons il établit une classification de procédés qui forment, d’après lui, par combinaisons, la totalité (infinie !) des tours de magie possibles. Le Chapitre des objets sympathiques est un étrange inventaire d’objets qui sont tous liés par un réseau de « ligatures » invisibles qui les font agir discrètement ou spectaculairement les uns sur les autres, suivant la configuration de leur arrangement. Avec Un Théorème des Substitutions,  on entre dans une histoire à énigme très compliquée, une sorte de récit en ramifications qui dessine le diagramme d’un efficace dispositif de disparitions et métamorphoses de personnages. Le Dialogue de Giordano Bruno avec son bourreau est un échange alerte de propositions contradictoires sur la circulation des objets et des êtres entre les mondes visible et invisible. J’aime trafiquer l’ordre des faits, le temps, les échelles du regard, les liens des causes et des effets… C’est l’une des chances que nous donne la scène de théâtre : nous autoriser à ces trafics en tous genres et nous pousser à l’invention de manœuvres toujours plus raffinées et malicieuses pour confondre la réalité.

Propos recueillis par Agnès Santi


Bafouilles de Jean-Pierre Larroche , du 11 au 13 mars à 19H30 à la Coupole, scène nationale de Sénart, Tél : 01 60 34 53 60.

A propos de l'événement


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