Une Médée africaine
Après une première création en 2004 sur le grand plateau des Amandiers, Jean-Louis Martinelli revient aujourd’hui à la Médée de Max Rouquette dans une nouvelle version. Une version épurée qui, au sein de l’atelier de construction de décors du Théâtre de Nanterre, souhaite renvoyer à « tous les camps de réfugiés du monde ».
Comment avez-vous été amené à mettre une première fois en scène la Médée de Max Rouquette avec des comédiens burkinabés ?
Jean-Louis Martinelli : Tout a commencé en 2001, lors d’un stage que j’ai effectué, au Burkina Faso, sur proposition de Culturesfrance. Au départ, il n’était pas du tout question de créer un spectacle. Je m’étais simplement rendu dans ce pays pour rencontrer des acteurs et des musiciens.
Mais vous aviez emporté dans vos bagages la pièce de Max Rouquette…
J.-L. M. : Oui. En me souvenant de Heiner Müller et de Pier Paolo Pasolini, je me suis dit que l’endroit au monde où le sentiment du tragique était le plus fort, le plus éclatant, était le continent africain. Très vite, divers points de concordance sont apparus entre la tragédie de Max Rouquette et les acteurs du groupe avec lequel je travaillais. Par exemple, le rapport au sacré est très fort chez les Africains, comme dans la Grèce antique. Cette croyance réelle dans l’existence d’une force cachée — qui peut friser la superstition — résonne de façon particulièrement intéressante lorsqu’on la croise avec les tragédies grecques. De quelque côté que l’on prenne Médée, la réalité africaine l’éclaire : on n’a qu’à penser aux rapports qu’entretiennent les Africains avec la magie, à la question de l’exil, à la corruption, à la polygamie… Et puis, l’idée du Chœur – comme expression du voisinage, comme réalité tangible de la vie collective – a encore un sens évident en Afrique, ce qui n’est pas le cas dans les sociétés occidentales.
Le projet de prolonger ce stage en mettant en scène Médée avec des artistes burkinabés est donc né, à ce moment-là, de toutes ces évidences…
J.-L. M. : C’est ça. Deux ans plus tard, j’ai créé une première version de Médée sur le grand plateau des Amandiers. Et lorsqu’en 2008, Renato Quaglia, le directeur du Festival de Naples, m’a demandé de reprendre ce spectacle, il m’a fallu, en très peu de temps, repenser complètement ma mise en scène, les décors de la première version ayant depuis longtemps été détruits.
« L’endroit au monde où le sentiment du tragique est le plus fort, le plus éclatant, est le continent africain. »
Quelles sont les caractéristiques essentielles qui différentient les deux versions de ce spectacle ?
J.-L. M. : Lors de sa recréation, le spectacle s’est épuré, j’ai envie de dire qu’il a trouvé sa juste place. Cette nouvelle mise en scène se déroule quasiment dans un camp de rétention, elle renvoie à tous les camps de réfugiés du monde. Gilles Taschet a fait évoluer l’image un peu chromo de l’Afrique qui se dégageait de la première version pour élaborer une scénographie de l’urgence, du déplacement, une scénographie qui n’est pas présentée sur l’un des plateaux des Amandiers mais au sein de l’atelier de construction de décors. Il nous a en effet paru intéressant que la notion d’exil, qui se situe au cœur de cette tragédie, puisse s’inscrire dans une dimension contemporaine, qu’elle puisse faire écho de façon brute à la fois à l’histoire de Médée et à la violence des odyssées migratoires de notre époque. L’atelier est un lieu de stockage, un lieu qui évoque l’idée de précarité. Le spectateur est ainsi placé dans un espace qui peut faire penser à un entrepôt de Sangatte, ou du nord du Maroc.
Dans votre nouvelle distribution, le rôle de Médée est interprété par Odile Sankara. Pourquoi ce choix ?
J.-L. M. : En plus de sa présence singulière – une véritable présence de reine – Odile Sankara fait preuve d’un grand sens de la langue. C’est d’ailleurs elle qui a traduit, avec Habib Dembele, les psaumes en Bambara investis par les chœurs. Elle possède un mélange d’irrationalité et de force d’incarnation qui lui permet de faire naître une Médée connectée à la fois au domaine des dieux et au domaine du politique. Odile Sankara parvient à poser la question de l’indépendance des femmes de façon très puissante : des femmes en général, pas seulement des femmes africaines. J’ai l’impression que sur ce continent, les femmes portent une parole beaucoup plus libre que les hommes. Pour parodier Jean-Luc Godard, qui a déclaré que les pauvres, un jour, sauveraient le monde, j’ai envie de dire que ce sont les femmes africaines qui, peut-être, sauveront un jour l’Afrique.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
Médée, de Max Rouquette ; mise en scène de Jean-Louis Martinelli. Du 12 novembre au 13 décembre 2009. Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h30. Théâtre Nanterre-Amandiers, 7, avenue Pablo-Picasso, 92022 Nanterre. Réservations au 01 46 14 70 00 ou sur www.nanterre-amandiers.com