La Terrasse

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Danse - Entretien

Jean-Guillaume Bart

Jean-Guillaume Bart - Critique sortie Danse
Crédit portrait : Anne Deniau / Opéra National de Paris Légende : Jean-Guillaume Bart signe son premier ballet pour l’Opéra de Paris

Publié le 10 octobre 2011 - N° 191

La Source

La Source, ballet oublié ? Aujourd’hui professeur au ballet de l’Opéra, le danseur étoile Jean-Guillaume Bart livre ici sa première création pour la compagnie : une réappropriation de ce livret de 1866, accompagné de Christian Lacroix et Eric Ruf. Un retour sur le devant de la scène que le chorégraphe aborde sereinement, et qui semble couler de source…

 « L’œuvre résonne à la fois dans le champ invisible, immatériel, et dans des domaines beaucoup plus terrestres. »
 
On vous connaît pour votre carrière de danseur étoile. Mais quel a été votre parcours de chorégraphe ?
 
Jean-Guillaume Bart : Ma première pièce importante date de 1997 et c’est à ce moment-là que Brigitte Lefèvre s’est intéressée à mon langage chorégraphique, qui était plutôt classique. En 2000 Claude Bessy m’a commandé un ballet pour l’école de danse, et j’ai travaillé par la suite avec différentes écoles, puis écrit des pas de deux pour des jeunes danseurs à l’Opéra. En 2007 j’ai fait une mise en scène du Corsaire en Russie, première expérience autour d’un grand ballet du répertoire.
 
Qu’est-ce qui ressort de votre langage chorégraphique aujourd’hui ? Toujours cet appétit pour le classique ?
 
J.-G. B. : Oui, c’est quelque chose que je revendique. Ayant été moi-même un danseur apprécié et distribué essentiellement dans les rôles du répertoire, c’est un langage que je connais très bien pour l’avoir exploré, en essayant de m’y sentir le plus libre possible. Je pense qu’il faut que le classique reprenne une place plus authentique sans pour autant systématiquement le dénaturer ou le déshumaniser comme on peut le faire aujourd’hui.
 
Ceci explique-t-il le choix de ce nouveau projet, qui est à l’origine un ballet très narratif ?
 
J.-G. B. : Je connaissais depuis très longtemps le livret original de Nuitter, qui date énormément, avec beaucoup d’aspects « XIXème siècle ». C’est un livret très touffu, nous avons dû le réadapter. L’histoire de La Source est celle de l’esprit de l’eau qui tombe amoureux d’un être humain, qui lui est amoureux de la belle caucasienne destinée au harem du Khan. Au final l’esprit de la Source va se sacrifier grâce à son talisman et rendre possible l’amour entre les deux mortels. On est dans l’enchantement, le merveilleux. L’œuvre résonne à la fois dans le champ invisible, immatériel, et dans des domaines beaucoup plus terrestres. On peut aussi la lire comme une métaphore de la société dans laquelle on vit, où l’on a tendance à gaspiller la nature, en l’ignorant de plus en plus, toujours au profit des êtres humains aux besoins grandissants.
 
Dans quoi avez-vous puisé, dans quel sens avez-vous travaillé pour écrire la danse ?
 
J.-G. B. : Il y a trois univers : l’immatériel avec les nymphes, les elfes, pour lequel j’ai puisé dans des influences proches de Fokine ou Balanchine, avec un gros travail sur les ports de bras plutôt que sur une virtuosité acharnée. Le port de bras amène une respiration, il a un pouvoir très évocateur. Pour la partie terrestre avec les personnages des caucasiens, je me suis beaucoup intéressé aux danses de caractère caucasiennes. C’est un vocabulaire que l’on connaît très peu car le ballet classique s’intéresse plutôt aux danses espagnoles ou slaves. Pour les garçons il y a beaucoup de jeux de jambes qui rappellent des poignards, les bras sont toujours avec les poings fermés et représentent des totems. Le dernier univers se situe dans toute la partie du harem où je suis allé encore plus loin dans l’orientalisme. C’est un clin d’œil à Ingres, avec beaucoup de volupté dans les ports de bras, dans les hanches…
 
Beaucoup de traces du ballet initial de 1866 ont disparu dans un incendie : avez-vous pu ainsi faire facilement table rase de l’histoire, pour laisser place à votre imaginaire et à ceux de Christian Lacroix et Eric Ruf ?
 
J.-G. B. : Chorégraphiquement il ne restait plus rien, ce qui n’était pas plus mal car je n’étais pas du tout dans la dynamique d’une reconstitution. J’ai été extrêmement séduit par cette forme de merveilleux qui existe chez Christian Lacroix, puisque son univers prédispose à toutes ces fantaisies orientalistes. Eric Ruf sait créer des décors à la fois évocateurs et légers. Il utilise pour le décor tous les matériaux du théâtre pour représenter à la fois la clairière du premier acte et le palais du deuxième acte.
 
Vous avez quitté votre carrière de danseur étoile prématurément. Que vous inspire le fait d’être aujourd’hui à la tête de cette grosse production, qui va d’ailleurs être retransmise au cinéma ?
 
J.-G. B. : Cela représente une grosse pression, mais j’ai tellement ce bébé en gestation depuis des années que je ne pense pas trop à cet aspect des choses ! Je suis vraiment dans le processus de création d’une oeuvre, dans la transmission aux danseurs pour qu’ils puissent lui donner vie. Je mets   dans cette œuvre mon amour de la danse. Ma façon de chorégraphier est dans le prolongement de ma pédagogie. Je suis dans la continuité, il y a quelque chose de naturel dans ce projet.
 
Propos recueillis par Nathalie Yokel


La Source de Jean-Guillaume Bart, du 22 octobre au 12 novembre au Palais Garnier. Tel : 08 92 89 90 90 (0,34 € / mn). Diffusion en direct en salles de cinéma avec Gaumont / Pathé le 4 novembre, et diffusion ultérieure sur France Télévision.

A propos de l'événement


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