Petits Crimes conjugaux
Une création de la Comédie de Picardie sur la [...]
Jean Bellorini met en scène Un Fils de notre temps de Ödon von Horváth, publié l’année de sa mort accidentelle en 1938, alors que le fascisme se répand. Un travail choral avec quatre jeunes acteurs instrumentistes, formés notamment à l’Atelier Volant du Théâtre National de Toulouse.
Comment racontez-vous cette histoire ?
Jean Bellorini : Quatre comédiens instrumentistes forment un chœur, une petite fanfare avec trompette, guitare, claviers, et violon, qui pourrait arriver sur n’importe quelle place de village et raconter cette histoire de manière simple et joyeuse. Par la force de l’évocation et la puissance du souvenir, l’incarnation leur tombe dessus, ils deviennent les personnages, racontent à la première personne cette histoire finement construite, parfois teintée d’humour, qui finit très mal. Il n’y a pas de distribution, les acteurs interviennent seul ou à plusieurs et chaque spectateur est libre d’identifier tel personnage à l’un des acteurs plutôt qu’à un autre. Il s’agit de donner à imaginer, de mettre en œuvre une interprétation qui ne soit pas uniforme et n’enferme pas le texte, mais au contraire en explore la complexité et les nuances dans une respiration commune, par un travail choral. Le spectateur doit avoir la liberté de rêver et d’inventer la réalité…
Le texte recèle aussi une dimension onirique…
J. B. : Le texte reflète les obsessions métaphysiques de Horváth, et leur dimension onirique. Il a écrit plusieurs versions de ce texte en réécrivant la fin, et ces réécritures montrent son attachement à ces questions. Ce texte résonne avec Liliom par l’évocation de l’au-delà. C’est un ange imaginaire qui va à la fin conduire le personnage principal vers sa quête d’un amour raté. Plus métaphysique et moins didactique que les œuvres de Brecht, ce texte pose des questions de manière aiguë mais non démonstrative, des questions qui résonnent fortement avec notre époque.
« Prendre le temps de se raconter des histoires ensemble, à travers la réflexion et l’émotion. »
En quoi résonnent-elles avec notre époque ?
J. B. : La perte des repères et la perte de sens de l’action politique caractérisent notre époque et tout cela favorise aujourd’hui la montée d’une pensée fasciste. On constate un refus de rendre la pensée et la conscience moteur de notre monde, qui au contraire éprouve une nécessité de simplification de tout, de réponses raccourcies. Le désœuvrement et l’absence de repères peuvent conduire à des engagements absurdes. Le personnage principal, chômeur, s’engage dans l’armée allemande pour échapper à la misère et donner un sens à sa vie. Il souhaite faire partie d’un monde dont il a l’impression qu’il est plus simple. A la fin des années trente, le fascisme bat son plein. Le texte est magnifique dans sa façon de poser les questions, en laissant au spectateur le pouvoir de penser la responsabilité ou l’irresponsabilité du personnage qui devient un meurtrier. C’est très théâtral, et c’est un théâtre de la liberté.
Et un théâtre populaire…
J. B. : Ce spectacle joué au TGP et hors les murs, sans contrainte technique ou de plateau, a été conçu pour aller à la rencontre d’un public qui n’a pas l’habitude d’aller au théâtre, dans des lieux où il n’y a pas de théâtre. L’être humain a droit à l’eau, l’électricité, et au théâtre ! Nous voulons prendre le temps du théâtre et de la parole partagée, prendre le temps de se raconter des histoires ensemble, à travers la réflexion et l’émotion. On a trop tendance aujourd’hui à nous faire croire que l’émotion va à l’encontre de la réflexion, et que le populaire est populiste. Le théâtre rappelle qu’il y a des endroits où on peut se poser des questions sans réponses étriquées.
Propos recueillis par Agnès Santi
Samedi à 18h, dimanche à 16h, lundi à 20h30. Et hors les murs jusqu’en mars. Tél : 01 48 13 70 00.
Une création de la Comédie de Picardie sur la [...]