La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Jazz / Musiques - Entretien

Jazz Nomades / La Voix est Libre : Rencontre avec Blaise Merlin

Jazz Nomades / La Voix est Libre : Rencontre avec Blaise Merlin - Critique sortie Jazz / Musiques

Publié le 2 mai 2013 - N° 209

Les 28, 29 et 30 mai à Paris/Théâtre des Bouffes du Nord.
www.jazznomades.net

Quelle couleur spécifique avez-vous voulu donner à cette nouvelle édition, qui marque le 10è anniversaire du festival ?
Blaise Merlin : Cette 10ème édition fait honneur à la dissidence poétique, musicale et théâtrale sous toutes ses formes, jouée, chantée, parlée, dansée, acrobattante et haut-perchée ! Nous invitons des artistes dont la puissance et l’intégrité échappent à tout contrôle d’identité, à tout constat économique ou politique préétabli : le réfugié poétique chinois Liao Yiwu, l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau, le maître vaudou Erol Josué, le chanteur Albert Marcoeur (en création avec le Quatuor Béla), les indomptables Médéric Collignon et Thomas de Pourquery, les inclassables Mathurin Bolze, Kaori Ito, Fantazio, Louis Sclavis, les insaisissables Arthur H et Nicolas Repac, les messagères Elise Dabrowski et Frédéric Bruyas, avec des textes venus d’Afrique, des Caraïbes, du Moyen-Orient… En croisant et en stimulant les désirs d’artistes venus de tous les horizons, de plus en plus nombreux à vouloir s’échapper des cadres de production et de diffusion en vigueur dans nos institutions, nous sommes suivis par un public qui, lui aussi, a soif de sens, d’ouverture et d’authenticité. Cette démarche somme toute très instinctive se heurte malgré nous aux réflexes d’uniformisation et de segmentation de notre système, nous poussant à nous interroger sur le sens profond des mots “liberté d’expression”, “diversité”, “hasard” et “nécessité”, au cœur des découvertes scientifiques et artistiques majeures du 20è siècles, mais dont les traductions concrètes se font toujours attendre sur la plan social, économique, culturel… et agriculturel ! D’où notre démarche associant scientifiques et hommes de parole à notre programme, la transmission de ces connaissances étant aussi vitale que la joie et la richesse des possibilités offertes par leur mise en œuvre, depuis 10 ans au sein du festival !

Où en est le festival? Aujourd’hui le festival fait des petits en province et à l’étranger… Quel sens donnez-vous à cette extension?

Blaise Merlin : Je n’aurais jamais pu imaginer que ce projet, partant d’un geste radical à la fois consécutif au choc de la présidentielle 2002, à la débâcle des lieux et des labels indépendants, pourrait dix ans plus tard être accueilli dans des structures aussi importantes que le théâtre Garonne à Toulouse, les scènes nationales de Bonlieu (Annecy), du Channel à Calais… Et s’envoler pour Beyrouth, où le dialogue entre les cultures, les genres et les générations fut reçu avec d’autant plus d’émotion que l’on peut l’éprouver de manière intense, riche et parfois violente au quotidien. Cette reconnaissance institutionnelle, précédée de longue date par la ferveur des artistes, du public et de la presse, nous permet de traverser pour de bon les frontières qu’il s’agissait de broyer dans l’espace à la fois risqué et privilégié de la scène parisienne. Dans d’autres villes, le festival s’ouvre à des publics d’autant plus touchés qu’ils ne sont pas acquis, tout en favorisant la rencontre parfois spontanée avec des artistes locaux. J’ose espérer que cet intérêt réponde à l’urgence d’offrir des espaces de liberté et de rencontre adaptés à des créateurs porteurs du souffle positif du choc des civilisations, en prise directe avec la cité, pour qui les clivages entre formes savantes et populaires, écriture et improvisation, cirque, danse ou théâtre s’effacent devant la triple nécessité d’approfondir ses racines et les ouvrir aux autres, de cultiver l’art de l’improvisation dans un monde qui s’ouvre à une vitesse folle, d’enrichir et réenchanter les langues au lieu de les uniformiser et de les appauvrir.

Au-delà de la programmation en tant que telle, ce qui frappe dans votre festival, c’est l’atmosphère générale qui baigne la salle, avec des gens assis par terre, un public « actif », réactif, presque impliqué dans ce qui se passe sur le plateau. Comment avez-vous inventé ce climat unique, un peu « années 70 »?

Blaise Merlin : Plus d’un producteur rêve de réunir un public si éclectique dans une ambiance aussi électrique, mais je n’ai aucune explication claire à fournir sur ce point qui, à Paris, ferait presque figure d”exception culturelle” à lui seul ! Cela doit être dû à la symbiose de plusieurs facteurs : d’une part, la notoriété du festival s’est davantage construite sur les rencontres, le bouche à oreille, l’implication des artistes, la ferveur et le soutien d’une partie de la presse que sur des campagnes de pub. D’autre part, nous effectuons un travail de fourmi qui accorde autant d’importance à l’activité foisonnante des lieux parallèles de vie et de création, qu’aux tendances qui se dessinent dans les grands festivals, toutes disciplines confondues. Enfin, ce qui fait la force de ce projet, c’est l’expérience de liberté et de transversalité qu’il offre en partage à l’artiste ET au spectateur : ni performance, ni cabaret, ni spectacle, ni conférence, ni débat, ni happening, mais tout cela à la fois ! Un festin physique et métaphysique où chaque soir, public et artistes retiennent ensemble leur souffle… et le libèrent, sans savoir à l’avance où ces échanges vont pouvoir nous mener… D’où peut-être, une telle osmose, où alternent la joie absolue, une ferveur quasi-militante et des frustrations parfois insurmontables !

Et si vous deveniez d’un seul coup spectateur de votre festival, et que vous ne pouviez assister qu’à un seul concert, lequel choisiriez-vous?

Blaise Merlin : Sans hésiter, je choisirais celui dont le caractère magique et imprévisible me prendrait le plus au dépourvu, ce qui, par définition, rend la question caduque ! Tout l’intérêt de ces collisions fertiles entre musique, poésie, danse, cirque, science… est de faire péter les cadres qui séparent les désirs les plus fous de nos convictions les plus profondes, ou de nos interrogations les plus légitimes. Si les réponses étaient données d’avance ont aurait rien à se dire, la liberté d’expression serait vidée de son sens. Or, c’est dans cette zone de “libre-étrange”, d’inconnu et de “chants d’attraction” que se joue l’avenir de nos sociétés humaines, c’est là que se révèlent les secrets de notre genèse éternelle ! Celle-ci ne faisant que commencer, je propose de répondre à une demande qui ne correspond à aucune offre, au désir infini qu’aucun produit fini ne saurait substanter : pour cela j’anticipe tout, mais je ne prévois rien ! Pour preuve, le nombre incalculable de spectateurs qui m’ont dit être venu pour un créateur qu’il adulent, et sont repartis bouleversés par tel artiste dont ils n’avaient jamais entendu parler, alors tenons-nous toujours prêt au décollage…

Propos recueillis par Jean-Luc Caradec

A propos de l'événement


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