La Terrasse

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Théâtre - Critique

J’aurais voulu être égyptien

J’aurais voulu être égyptien - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Pascal Victor Légende photo : Tragique et comique, la pièce intrique la petite et la grande histoire.

Publié le 10 octobre 2011 - N° 191

Aimant emprunter ses sujets d’inspiration à ce que transpire l’air du temps, le directeur du Centre Dramatique National de Nanterre-Amandiers, Jean-Louis Martinelli, signe avec J’aurais voulu être égyptien, l’une de ses créations les plus efficaces et les plus abouties.

Adaptation du prophétique roman Chicago de l’égyptien, aujourd’hui mondialement connu, Alaa El Aswany, cette pièce tragique, et pourtant comique, relève la question du politique en dépassant le circonstanciel. L’ouvrage publié en langue française en 2002 est annonciateur de la récente révolution cairote. La tenue en germe des événements de l’emblématique place Tahrir se décèle antérieurement dans l’œuvre de ce grand nom de la littérature égyptienne regardé, au titre de son art à intriquer la petite et la grande histoire, comme affilié à son aîné, Naguib Mahfouz. La toute première nouvelle d’Aswany, publiée après bien des péripéties dues à sa nature critique virulente, sous le titre non dépourvu de cette ironie mordante affectionnée par l’auteur, J’aurais voulu être égyptien, témoigne déjà de cette prescience politique et historique intuitives propre à tout grand romancier. En choisissant de reprendre ce titre pour cette adaptation scénique du roman Chicago, Jean-Louis Martinelli trouve son fil rouge, déroulant, avec une intelligente humilité, celui de l’auteur exprimé en ces termes mêmes : « L’élément politique n’est pas le plus important. C’est la question humaine qui compte ». La primauté donnée à l’humain, à cet endroit où le singulier rencontre l’universel, ouvre le champ dramaturgique comme il a libéré l’espace romanesque.

Dynamique et limpide

Dans le foisonnement polyphonique de cette petite Egypte en exil à Chicago décrite par Aswany, Jean-Louis Martinelli resserre l’intrigue autour de neuf protagonistes clés. A la croisée de tous les chemins de ces existences malmenées se tient l’idéaliste Nagui. L’étudiant poète mis au ban de l’Université du Caire pour des motifs politiques, boursier fraîchement admis dans le département d’histologie de la faculté de l’Illinois, revendique ses idéaux révolutionnaires. Figure de la corruption, gros ventre en avant et chapelet à la main, se présente l’hypocrite Danana. L’agent de la Sécurité de l’Etat, espion vicelard dont toute la veulerie éclate dans le traitement sinistre qu’il réserve à sa femme, la belle Maroua, est dépêché au sein de l’Université par l’omnipotent Safouet Chaker, incarnation de l’arbitraire du régime et tortionnaire impénitent. A lui seul, le bon docteur Saleh, anti-héros magnifique, rend manifeste toute la détresse d’un peuple condamné à regarder sa propre lâcheté quand il s’agit seulement de sauver sa peau dans une société où le lien nécessaire entre intérêt général et intérêt particulier est quotidiennement saccagé. Touchante, Chris, sa femme, son épousée de circonstances, celles de l’exil, vit le drame d’aimer sans espoir de retour. Adorable, pleine de vie, Wendy, l’amoureuse de Nagui d’origine juive, sera broyée par d’affreux soupçons tragiquement induits par ce méchant et terrifiant contexte politique. Aidés par la limpidité de la scénographie de Gilles Taschet, impliqués avec un fervent naturel, les comédiens servent la dynamique de l’enjeu : montrer l’inévitable délitement des êtres et des destins pris dans les filets d’une société délétère. Ils s’appliquent sans faillir et, dans le cas d’Eric Caruso dans la peau de Danana, non sans un certain génie.
 
Marie-Emmanuelle Galfré


J’aurais voulu être égyptien, d’après le roman Chicago d’Alaa El Aswany ; mise en scène de Jean-Louis Martinelli. Du 16 septembre au 21 octobre 2011. Du mardi au samedi à 20h30 ; le dimanche à 15h30. Théâtre Nanterre-Amandiers, 7, avenue Pablo Picasso, 92 022 Nanterre. Tél : 01 46 14 70 00.

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