La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Jan Fabre

Jan Fabre - Critique sortie Théâtre
Crédit : Jean Pierre Stoop Légende : Artémis Stavridi, joli canari...

Publié le 10 juin 2010

L’appel du vide

Le jeune homme n’avait pas fini de consumer sa jeunesse qu’il se jetait du haut du pont Tallahatchee, fendant le vide à corps perdu. Brodant sur cette histoire que chantonne l’Ode to Billy Joe de Bobby Gentry (1967), Jan Fabre écrit une lettre d’adieu qui dit la liberté de la mort pour l’amour de la vie. Conçu sur mesure avec Ivana Jozic en 2008, Another Sleepy Dusty Delta Day est aujourd’hui recréé pour Artémis Stavridi.

Quels souvenirs vous évoque la chanson de Bobby Gentry ?
Jan Fabre : Je la connais depuis l’enfance… Et Ivana Jozic m’en a fait cadeau voici sept ans, me demandant de l’utiliser si je créais une pièce pour elle. Le refrain m’est revenu en mémoire quand ma mère est décédée d’un cancer, qui l’a étouffé lentement jusqu’à son dernier soupir. Durant quatre semaines, j’ai assisté à son agonie et ses souffrances. L’euthanasie est interdite en Belgique. J’ai écrit ce texte manifeste en réaction à ce douloureux vécu, pour revendiquer la liberté de choisir le moment de sa mort, comme respect de la vie.
 
« Mon travail, plastique, théâtral ou corporel, est habité par cette recherche sur le vide, sur le saut dans l’inconnu, l’envol avant la chute. »
 
Le Saut dans le vide d’Yves Klein inspirait déjà un précédent solo. Comment ce thème nourrit-il votre geste artistique ?
J. F. : Mon travail, plastique, théâtral ou corporel, est habité par cette recherche sur le vide, sur le saut dans l’inconnu, l’envol avant la chute. Mes sculptures dessinent ainsi des structures de corps mais sont « emplies » de vide, telles des cocons vidés de leur substance. La dualité entre l’évocation charnelle et l’absence, entre la physicalité et la matière, renvoie au paradoxe de l’humain aspirant à la condition de l’ange, qui est l’invisible, l’immatériel… le vide. Je cherche, avec le corps physique, le corps spirituel.
 
La jeune danseuse grecque Artémis Stavridi reprend le rôle. Comment avez-vous travaillé ?
J. F. : J’ai complètement recréé le solo, parce qu’elle a une corporéité différente, une autre mémoire. Tous les éléments de la pièce doivent résonner dans un entrelacs d’associations et de correspondances. La musique, ce blues un peu mélancolique, les terrils de charbon et les trains miniatures, les cages suspendues renfermant des canaris… tout est symbole et fait signe ensemble. Par exemple, autrefois, les mineurs emportaient toujours un oiseau au fond des puits car il mourait le premier du manque d’oxygène et prévenait ainsi du danger d’asphyxie. La scénographie forme un espace mental, comme une cage. La performeuse porte une robe jaune canari… L’installation plastique joue sur les effets d’échelle, la chorégraphie renverse la verticale et l’horizontale dans le mouvement. Les liens entre ces éléments apparaissent à mesure que le récit avance. Sur scène, Artémis Stavridi lit la lettre de son bien aimé annonçant son suicide : sa métamorphose advient par les émotions agissant sur le corps.
 
Entretien réalisé et traduit par Gwénola David


Another Sleepy Dusty Delta Day, texte, conception, scénographie, mise en scène de Jan Fabre, chorégraphie de Jan Fabre et Ivana Jozic, du 15 au 23 juin 2010, à 20h30, relâche dimanche 20 et lundi 21 juin. Théatre des Abbesses, 31 rue des Abbesses, 78018 Paris. Rens. 01 42 74 22 77 et www.theatredelaville-paris.com. En Anglais surtitré. Durée : 1h. Spectacle vu au Festival d’Avignon 2008 avec Ivana Jozic. Les textes de Jan fabre sont publiés à L’Arche Editeur.

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