La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Jacques Bonnaffé

Jacques Bonnaffé - Critique sortie Théâtre
Photo : Brigitte de Malau

Publié le 10 novembre 2007

Allocution poétique de Bonnaffé via Verheggen

En ces temps médiatisés des allocutions politiques, Jacques Bonnaffé prend le contre-pied de ces postures complaisantes pour leur préférer celle du poète Jean-Pierre Verheggen, dont le verbe truculent regorge de dérision subversive et d’humour populaire.

Verheggen confirme votre attachement aux poètes du Nord.
 

Jacques Bonnaffé : Jean-Pierre Verheggen est belge, les gens du Nord connaissent peu l’histoire de ce pays. 
La Belgique est un foyer propice à un nombre d’auteurs qui manient merveilleusement la langue française. Michaux est de la même région que Verheggen autour de Namur et de Gembloux d’où est originaire encore Jean-Claude Pirotte. Et moi, depuis Douai, j’étais curieux de découvrir des poètes et leur expérience d’un attachement viscéral à la langue et à son invention. J’ai travaillé sur l’écriture d’un poète ouvrier du Nord, Jules Mousseron. Après la poésie de Jacques Darras que j’ai portée à la scène, je puise dans la matière de Verheggen.

 
En quoi cette poésie est-elle pour vous source d’inspiration ?
 
J. B. : L’esprit provocateur de Verheggen me plaît, à côté du renversement des convenances et de la crudité très « belge ». J’y trouve un labeur acharné, ouvragé, compliqué de la langue qui dévoile des mystères insaisissables. Ce travail procède du besoin ancestral de la première écoute poétique. Les premiers textes répertoriés de la langue française sont des collections de mots, que ce soient des odes, des prières ou bien des acclamations. La première retranscription de la langue relève du domaine poétique. Verheggen pratique cette reconstitution de l’énumération de la vie des choses entendues et reformulées poétiquement, ces Fatras qu’aimait Prévert. Les Fatrasies de la Ville d’Arras relèvent d’une accumulation de mots entendus sur la Place du Marché, dans un état quasi-réaliste mais de forme poétique. Ces listes grandioses et rabelaisiennes ressemblent à de grands arbres interminables.

Vous comparez Verheggen
au poète des mots qu’est le trouvère.

J. B. :
On peut consentir au poème deux expériences significatives. D’un côté, le souffle, le lyrisme, le romantisme, l’émotion ; de l’autre, – et c’est le côté Jean-Pierre Verheggen – le choix existentiel du trouvère et de l’annoncier qui décroche les mots de la vie et les réutilise. Verheggen, dans une volonté de provocation, choisit plutôt l’agression dans le renoncement aux effets faciles de l’émotion.

« C’est un événement à couper le souffle, une interruption momentanée des modes officiels de penser. »

Il faut assumer le poète déclamateur : un poème doit se dire et non pas se vivre. Dans ce mouvement magnifique qui monte, on discerne une envie de voir au-delà ou bien en arrière vers nos origines, une idée de transcendance interdite.

Vous intervenez sur la scène pour une allocution poétique.

J. B. :
Je suis en campagne électorale, un candidat, un élu politique au cours de ses étapes. Mes formes de discours officiel sont composées des poésies de Verheggen et de repiquages personnels dont Spirou. Je confronte Verheggen aux classiques ; des textes blagueurs du poète belge que je fais suivre de grands textes baudelairiens. J’ajoute des citations de Marceline Desbordes Valmore, romantique éplorée, qui travaille au même atelier quotidien de la fabrique des mots avec montage et démontage. Le mot de Verheggen dans L’Oral et Hardi n’est pas un appel gestuel, mais une interruption de séance pour l’homme politique du coin qui vient placer un mot : « Arrêtez de penser ou de pratiquer votre langue, j’en ai une autre. » C’est un événement à couper le souffle, une interruption momentanée des modes officiels de penser. Une cérémonie du verbe comparable à l’affirmation de John Cage : « Je n’ai rien à dire et c’est ce que je dis ».

Comment définiriez-vous cette langue ?

J. V. :
On a la sensation contagieuse de reprendre possession de sa langue dans cet acte de nommer qui rend chacun à soi-même. Il se produit chez le poète cette secousse énorme, cette déflagration de la langue française qu’on devine sur la terre wallonne où il faut faire des prouesses pour se réclamer francophone. Une façon de revenir aux orages intérieurs, aux premiers tumultes de l’apparition des mots. Articuler les mots comme la prouesse de Rimbaud ou d’Artaud qui oblige à leur désarticulation avant de reprendre consistance. Cette connaissance naît du profond de soi, une approche sémantique donc poétique et troublante qui remue. D’où naissent les mots ? Que disent-ils ? Les pensées s’écrivent-elles ? La poésie est cette écriture parlée en nous qui provoque des états qui affleurent. En oubliant cette douleur perpétuelle propre à une certaine poésie mélancolique qu’on aime chez Villon, Charles d’Orléans et Verlaine…, un blues incroyable. En échange, Verheggen peut dire des choses terrifiantes sans complaisance envers la plainte. À côté de l’érudition, s’impose la dimension populaire de la truculence, une attention extrême aux menues choses de la vie et des êtres, en souriant.
Propos recueillis par Véronique Hotte


L’Oral et Hardi

De Jean-Pierre Verheggen, conception, mise en scène et jeu Jacques Bonnaffé, mercredi et samedi 19h, jeudi et vendredi 21h, dimanche 17h, du 21 novembre au 21 décembre 2007 à la Maison de la Poésie 157 rue Saint –Martin 75003 Paris Tél : 01 44 54 53 00 www.maisondelapoesieparis.com

A propos de l'événement


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