La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2014 - Entretien Claude Régy

Intérieur

Intérieur - Critique sortie Avignon / 2014 Avignon
Crédit Photo : Julien Bourgeois Légende : Le metteur en scène Claude Régy.

Salle de Montfavet / de Maurice Maeterlinck / mes Claude Régy

Publié le 23 juin 2014 - N° 222

Un peu moins de 30 ans après avoir créé Intérieur au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, Claude Régy revient à la pièce de Maurice Maeterlinck. Il dirige les comédiens japonais du Shizuoka Performing Arts Center dans une nouvelle exploration des frontières entre la vie et la mort.

Lorsque le directeur du Théâtre de Shizuoka vous a invité à créer un spectacle au Japon*, pourquoi avoir décidé de revenir à Intérieur ?

Claude Régy : Je crois beaucoup à l’inconscient. J’ai proposé cette pièce instinctivement. Après, je me suis aperçu qu’il y a deux lieux dans Intérieur : un pour la parole et un autre pour une image muette. Or cette dualité ressemble beaucoup à l’art du bunraku. Je pense que c’est ce qui m’a fait choisir ce texte-là, parce qu’en général je ne reviens pas aux textes que j’ai déjà montés. Mais il est vrai qu’en japonais, il s’agit d’un spectacle très différent, ne serait-ce qu’à l’oreille. Et puis, il se trouve qu’il y a beaucoup de silences dans Intérieur, comme dans toute l’œuvre de Maeterlinck. Je me suis donc dit que ce que je crois être un langage – c’est-à-dire le silence – était un langage international, un langage que je pouvais partager avec des acteurs japonais. Je me suis dit que l’on pouvait, ensemble, emplir ces silences de toutes sortes de prolongements du texte…

Comme beaucoup de vos créations, Intérieur est une réflexion sur la mort. Qu’est-ce qui vous pousse à revenir, sans cesse, à ce thème ?

Cl. R. : Je crois que l’on ne peut pas avoir une opinion valable de la vie, que l’on ne peut pas vivre valablement, sans réfléchir à la mort, sans envisager ce contrepoids de la vie qu’est la mort. Je pense que les gens qui vivent uniquement pour vivre, en s’investissant uniquement et totalement dans l’idée de la vie – idée qui s’accompagne, en général, de l’idée du bonheur – sont dans l’erreur. Il me semble donc qu’il est très important de rééquilibrer la juste répartition des choses par une double réflexion : une réflexion sur la vie et une réflexion sur la mort – l’une n’étant, selon moi, pas envisageable sans l’autre.

Cette double réflexion s’exprime d’ailleurs, dans la pièce, par deux niveaux de conscience…

Cl. R. : C’est ce qui me semble très intéressant dans Intérieur. Il y a un groupe de personnages qui est au courant de la mort d’une jeune fille noyée, et d’autres personnages – la famille de cette jeune fille – qui sont dans l’ignorance de cette mort. Le temps s’étire jusqu’au moment où la nouvelle de la mort est annoncée. Il y a comme une attente. Il y a aussi un rapport très évident entre le conscient et l’inconscient, puisqu’une partie des personnages a conscience de cette mort, alors que l’autre, non. C’est la fragilité de cette frontière qui m’intéresse. Elle est traversée par des échanges constants entre les deux mondes qu’elle sépare.

« Quand on traite de sujets ayant trait à la mort, il faut prendre garde de ne pas tomber dans la tristesse. »

Ces traversées sont comme des tentatives d’aller au-delà du connu…

Cl. R. : Oui, et même d’aller au-delà de l’intelligible, des tentatives d’explorer des zones secrètes, à proprement parler inexprimables… Il s’agit précisément d’essayer de faire passer d’un être humain à un autre quelque chose qui, n’étant pas de l’ordre de l’intelligible, touche probablement à des régions de l’inconscient sur lesquelles nous n’avons aucune connaissance. Nous pouvons, en effet, envisager qu’il y ait en nous des zones obscures, des parties absolument cachées qui se révèlent quelquefois, par exemple, pour parler de ce qui nous concerne particulièrement, à travers le travail de ce qu’on appelle les artistes et que je préfère appeler les créateurs : je veux dire tous ceux qui font œuvre d’imaginaire. Il est donc important de se maintenir dans le lieu où travaille l’imaginaire en essayant, par une espèce d’instinct, de se rapprocher de connaissances qui, en fait, n’en sont pas. Car ces choses sont de l’ordre de l’inconnaissable, mais elles existent.

Quelles sont les grandes différences entre votre mise en scène de 1985 et celle d’aujourd’hui ?

Cl. R. : Je pense que la différence tient beaucoup aux interprètes. J’étais très attaché à la personnalité des acteurs qui ont créé ce spectacle, il y a 30 ans**. Et puis, nécessairement, la pièce a mûri en moi. Elle a évolué. J’espère que cette version japonaise est moins lourde que le spectacle créé au Théâtre Gérard-Philipe. J’ai essayé de faire en sorte que les acteurs vivent cet événement comme on vit dans les rêves. Je me suis attaché à retrouver cette transparence : la transparence des rêves.

Cette transparence n’existait pas en 1985 ?

Cl. R. : Elle existait moins. A l’époque, j’avais utilisé l’architecture du Théâtre. Les personnages de la famille évoluaient dans la cage de scène alors que les personnages parlants étaient sur le proscenium. Aujourd’hui, la division entre la famille et l’extérieur est uniquement créée par une frontière de lumière très fragile. Comme toujours, quand on traite de sujets ayant trait à la mort, il faut prendre garde de ne pas tomber dans la tristesse. Il ne faut surtout pas faire une cérémonie de deuil. Peut-être que j’étais un peu tombé dans ce travers, il y a 30 ans. Aujourd’hui, il me semble que j’ai réussi à dédramatiser le propos.

 

* Spectacle créé le 15 juin 2013 au World Festival Shizuoka under Mt. Fuji, avec le soutien de l’Institut Français.

** Muni, Axel Bogouslavski, Catherine Mouchet, Dominique Hubin, Gilbert Duprez, Edith Scob, Hélène Alexandridis, Christèle Wurmser, Jean-Claude Vogel, Nicole Dogue, Yves-Noël Dieulevent.

 

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Salle de Montfavet
du mardi 15 juillet 2014 au dimanche 27 juillet 2014


Festival d’Avignon. Salle de Montfavet. Du 15 au 27 juillet 2014, à 18h, relâche les 18 et 23. Tél : 04 90 14 14 14.

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