La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

How deep is your usage de l’art ? (nature morte), conception Antoine Franchet, Benoît Lambert, Jean-Charles Massera

How deep is your usage de l’art ? (nature morte), conception Antoine Franchet, Benoît Lambert, Jean-Charles Massera - Critique sortie Théâtre DIJON THEATRE DIJON BOURGOGNE
© Vincent Arbelet How deep is your usage de l’art ? (nature morte)

conception Antoine Franchet, Benoît Lambert, Jean-Charles Massera

Publié le 8 novembre 2019 - N° 281

Quelque dix ans après We are l’Europe et Que faire ? (Le Retour), Benoît Lambert, Jean-Charles Massera et Antoine Franchet font à nouveau théâtre ensemble. En artisans facétieux et talentueux, ils mettent en œuvre un chantier poétique explorant les usages de l’art. Merveilleusement hors normes !

L’art, ça fait quoi ? L’immense qualité du spectacle proposé par Benoît Lambert, Jean-Charles Massera et Antoine Franchet, c’est qu’il ne répond pas à la question : il la met en scène ! Avec un talent fou, inventif à chaque instant, Benoît Lambert et les siens construisent et déconstruisent, renversent les perspectives, interrogent les normes et les codes, crée un puzzle étonnant où la logique et la raison cèdent la place au poétique, à la magie même du théâtre. Le spectacle brillant et facétieux qui se fabrique sous nos yeux ouvre une multitude de pistes, interroge les usages de l’art ici et maintenant avec humour, sincérité, tendresse aussi et parfois quelque colère. Sans didactisme ni surplomb, mais par la fragilité du faire, qui s’exprime ici magnifiquement, et qui le temps de la représentation unit les comédiens et les spectateurs. Tout commence par la parole. A cour, un conférencier manifestement peu convaincant – quoique…-, Gabriel Laubret (Guillaume Hincky), commente des images projetées, signées Vermeer, Mondrian… jusqu’à une image inconnue, qui soudain se dédouble et se matérialise sur le plateau, avec toutefois quelques minimes différences comme dans un jeu des sept erreurs. Une sorte de nature morte du théâtre, mystérieuse, secrète, crépusculaire, avec escalier de scène, arbre solitaire, et sol couvert d’une épaisse couche de laine qui se révèle un parfait matériau, étrange, malléable et primitif. L’arrivée des comédiens fait de suite entrer dans le vif du sujet : le jeu théâtral, la puissance des images, la beauté de la musique et la poésie de la présence se répondent. Et Gabriel continue de parler, de l’imagination, du temps nécessaire au regard sur une œuvre pour qu’il agisse, des correspondances et associations que chacun effectue…  « L’art c’est ce qui se passe en nous quand on regarde. » dit-il. Avec une vivacité, une pertinence et une énergie réjouissantes, le spectacle tisse un dialogue entre les comédiens, le conférencier et le public, sans jamais se laisser submerger par un sujet pourtant complètement démesuré, qui commence dès l’époque des chasseurs-cueilleurs ! Et qui de plus se nourrit incessamment du passé. L’art crée-t-il du commun ou isole-t-il ? L’art propose-t-il de reconnaître la noirceur du monde ou est-il un moyen de s’en échapper ? Qu’est-ce que cette histoire d’émancipation par l’art ?

Place à l’inattendu

Le lien entre générations, si passionnant quant à l’Histoire de l’art, acquiert ici une dimension particulière à travers la mise en commun du talent des anciens, Anne Cuisenier, Guillaume Hincky et Elisabeth Hölzle, et de quatre jeunes en devenir, issus de l’Ecole de Bordeaux Aquitaine et en contrat de professionnalisation au Théâtre Dijon Bourgogne – Marion Cadeau, Léopold Faurisson, Shanee Krön et Alexandre Liberati. Ils forment un bel ensemble. Avec malice, l’écriture met en forme un vaste chantier poétique – avec parpaings réels – où la linéarité s’efface pour faire place à l’inattendu, au surgissement intempestif, à la rêverie délicieuse et aux télescopages originaux. Sont convoqués Botticelli (en morceaux), quelques extraits littéraires – Phèdre, On ne badine pas avec l’amour, un poème de Baudelaire, un autre de Pessoa, le monologue d’Hamlet… – ainsi que d’outre-Atlantique une scène entre Scarlett et Rhett dans Autant en emporte le vent et une chanson de musical… Citons une scène mémorable et hilarante où Jésus s’extrait du tableau religieux composé par les comédiens pour entamer une danse avec… Thomas Bernhard (Elisabeth Hölzle), qui vient de nous livrer à quel point l’admiration vouée aux maîtres anciens, notamment vendus à l’Etat catholique,  le répugne. Et ils dansent sur un super tube planétaire des Bee Gees (cf le titre du spectacle) ! Citons une autre scène bouleversante, une scène futuriste où quatre cosmonautes casqués font irruption, en contraste avec une merveilleuse clown sans âge (Anne Cuisenier). Peut-être que cette scène exprime pour nous le désastre d’un monde abîmé par un progrès sans limites. Peut-être évoque-t-elle pour un autre spectateur totalement autre chose… Ce qui est sûr, c’est que cette fresque éphémère inclut le public dans sa réflexion. Elle est un exercice de liberté qui choisit l’éclat du langage de la scène plutôt que la lamentation. Et elle impressionne !

Agnès Santi

A propos de l'événement

How deep is your usage de l’art ? (nature morte)
du mercredi 6 novembre 2019 au mercredi 20 novembre 2019
THEATRE DIJON BOURGOGNE
Parvis Saint-Jean, rue Danton, 21000 Dijon.

novembre à 20h sauf le vendredi à 18h30 et le samedi à 17h. Relâche le dimanche et lundi 11 novembre. Tél : 03 80 68 47 47.

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