La formation théâtrale en France
Vers un acteur pluridisciplinaire plus créatif
« En un siècle, l’acteur est passé de l’emphase de la déclamation à pleine
voix à une diction plus intime (?). Aujourd’hui, le théâtre n?hérite plus des
traditions théâtrales des aînés, mais du cinéma et des nouvelles technologies,
des lights shows ou du sport », conclut l’essayiste Odette Aslan, dans
L’acteur au 20ème siècle*. Cette grande observatrice de la
scène théâtrale revient ici sur les évolutions essentielles de la formation.
Quels étaient les fondements de la formation traditionnelle de l’acteur ?
Ils reflétaient une conception du théâtre assise sur la primauté du texte,
donc de la parole, sur les autres dimensions de la représentation. Le
Conservatoire national de musique et de déclamation formait au théâtre classique
les futurs artistes de la Comédie-Française. L’acteur devait avant tout
apprendre à bien articuler, à phraser, à respirer afin d’avoir le souffle de
mener le sens jusqu’au bout, à placer sa voix pour qu’elle passe la rampe. La
politesse du comédien était de se faire entendre du dernier rang d’orchestre.
Cet apprentissage du « dire » passait par des techniques et exercices à
pratiquer tous les jours et même à poursuivre tout au long de la carrière, comme
un musicien fait ses gammes quotidiennement. Les professeurs appartenaient
généralement à la Comédie-Française et transmettaient ce que leurs aînés leur
avaient appris.
Quels ont été les facteurs de rupture avec ce modèle ?
Née en réaction au naturalisme envahissant, la vague des « ismes »
(expressionnisme, futurisme, surréalisme?) qui a balayé la littérature et la
peinture a également touché les structures dramaturgiques habituelles et appelé
d’autres modes de jeu. Dans les années 50, le « Nouveau Théâtre », avec Ionesco
ou Beckett, a déconcerté non seulement le public mais également acteurs et
metteurs en scène. Ces écritures contemporaines qui rompaient avec la fable, la
dramaturgie linéaire tendue vers un dénouement, la psychologie du personnage,
ont ébranlé les savoir-faire et sollicité des interprétations inédites. Par la
suite, le cinéma puis la télévision ont infléchi le jeu vers un style plus
« naturel », gommant une théâtralité jugée trop appuyée. L’acteur doit
aujourd’hui s’initier aussi aux nouvelles technologies qui s’introduisent sur la
scène.
Comment a évolué la place du corps ?
Durant des siècles, le maintien et la plastique théâtrale se sont inspirés de
la statuaire classique. Les comédiens adoptaient des attitudes « nobles » pour
jouer des rois ou des empereurs, ce qui leur conférait des postures raides, un
peu guindées. En fait, la technique corporelle se développera progressivement au
cours du 20ème siècle lorsque le corps reprendra ses droits dans la société,
grâce notamment à l’essor du sport.
« L’enseignement traditionnel ne s’est diversifié que lentement, avec la
venue de metteurs en scène pédagogues et l’élargissement du répertoire. »
Comment ces changements ont-ils influé sur la formation ?
L’enseignement traditionnel ne s’est diversifié que lentement, avec la venue
de metteurs en scène-pédagogues et l’élargissement du répertoire. En outre, la
prise de conscience de l’importance du corps et sa remise en jeu ont incité à
développer l’entraînement physique. D’autre part, le « système » de Stanislavski
et sa méthode des actions physiques, puis Brecht et le jeu épique, ont été
introduits en France. Au Conservatoire, l’interprétation du personnage commence
à être abordée dans les années 50, notamment avec Jouvet. Puis, à partir des
années 70, de nouvelles formes d’apprentissage apparaissent, avec Antoine Vitez
en particulier. Par ailleurs, d’autres écoles sont ouvertes. Les comédiens
apprennent davantage à jouer avec leurs partenaires. Groupés en ateliers, ils se
frottent aux réalités de la représentation en préparant un spectacle de fin
d’année. Les formations sont de plus en plus pluridisciplinaires, car les
acteurs ont besoin d’être polyvalents dans leur carrière. Les arts martiaux, la
danse, le jeu masqué, la musique et le chant ont été ajoutés dans les cursus.
Nous sommes entrés dans l’ère du melting-pot ! L’acteur doit intégrer les
différentes disciplines apprises dans une cohérence et non pas seulement les
accumuler.
Comment l’acteur, soumis à une ?uvre et un metteur en scène, est-il devenu
créateur ?
L’époque du metteur en scène très directif qui dicte sa vision est un peu
révolue. Aujourd’hui, ce dernier se montre beaucoup plus ouvert aux propositions
des comédiens. Souvent même, il sollicite des suggestions, des improvisations’
Les processus font plus appel à la créativité de l’acteur !
Entretien réalisé par Gwénola David
* L’Acteur au 20ème siècle ? Ethique et technique, de Odette Aslan, éditions
L’Entretemps, 2005.