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Les Centres Chorégraphiques nationaux : quelles évolutions et quels enjeux ?

Les Centres Chorégraphiques nationaux : quelles évolutions et quels enjeux ? - Critique sortie Danse
Crédit : Graphisme : Jean-Claude Chianale / Photos © Arno Paul Légende : L’image des 30 ans des CCN réalisée par les danseurs du Ballet de Lorraine.

Publié le 27 février 2016

Les Centres Chorégraphiques Nationaux viennent de fêter leurs 30 ans.  Aujourd’hui, où en sont les CCN ? Et surtout, ce modèle correspond-il encore aux attentes du milieu chorégraphique ?

Les CCN sont au nombre de dix-neuf, un chiffre stable depuis leur création officielle en 1984. Conçus au départ « pour servir le développement chorégraphique, avec notamment l’accompagnement, dans les meilleures conditions, d’artistes qui paraissaient à même d’incarner la danse dans divers endroits du territoire et générer des actions qui les dépassent eux-mêmes », comme le rappelle Didier Deschamps, directeur du Théâtre national de Chaillot, les récents renouvellements de leurs directeurs ont considérablement modifié la donne. Notamment en termes de « partage d’outil » selon l’expression consacrée. En effet, nombre de ces nouveaux directeurs militent pour ouvrir leurs CCN à d’autres artistes, par le biais de « l’accueil studio » ou d’artistes associés. Mais qu’en est-il réellement ?

L’accueil studio

« L’accueil studio », une mesure qui date de 1998, octroie à chaque CCN 45 000 € pour inviter plusieurs compagnies émergentes ou indépendantes à répéter au sein de leur structure. Sur le papier, ce n’est pas si mal. Dans la réalité, c’est plus compliqué.  La plupart des CCN (contrairement aux Centres Dramatiques Nationaux) ne disposent pas de salle de spectacle, et encore moins d’un budget pour la programmation qui leur serait alloué. Le plus souvent, ils n’ont qu’un studio. Le partage suppose donc un jonglage virtuose avec « l’accueil studio », d’autant plus que cette enveloppe n’a jamais été augmentée. « On a demandé 30 000 €, d’augmentation, explique l’Association des Centres Chorégraphiques Nationaux, en lien avec la Délégation à la danse, mais nous ne savons toujours pas si cette mesure sera validée, malgré l’annonce qui nous avait été faite. De même que le concept d’artistes associés, sur une durée ample et conséquente. »

Les missions

Par contre, ce qui est en constante augmentation, ce sont les missions qui leur sont confiées. Tous les CCN ont des missions diverses et variées qui vont de l’éducation artistique en direction des scolaires, des publics empêchés, des zones difficiles, à la mise en place d’actions innovantes tous azimuts…. Bien sûr, la plupart des CCN sont militants à l’endroit de la diffusion de la danse auprès d’un public diversifié, prêts à « élargir leur spectre d’action » selon l’ACCN. Ils ont même développé une sorte d’excellence dans la médiation culturelle. Il n’empêche qu’en OFF, la plupart reconnaissent que ça prend un temps et une énergie infinis, qu’il faut avoir des équipes de choc (en général petites) et une organisation d’enfer pour mener à bien toutes ces initiatives, avec des budgets, malgré tout, « contraints ». Car les subventions n’ont pas augmenté, contrairement aux frais de fonctionnement ou simplement au coût de la vie, et les équipes obtiennent plus facilement de l’argent pour la pédagogie que pour l’artistique. De plus en plus, les CCN se trouvent sommés de pallier tous les problèmes de diffusion de la danse contemporaine sur leur territoire. Ils doivent trouver des « coréalisations », avec des théâtres pluridisciplinaires qui sont pour la plupart frileux en matière de diffusion de danse, et même acquérir des moyens de coproduire d’autres compagnies sans avoir de ligne budgétaire qui le prévoit. De ce fait, voilà longtemps que les CCN n’emploient plus de danseurs permanents, mis à part ceux qui ont le titre de « ballets »[1]. À cela plusieurs raisons. L’insuffisance du budget, certes. La volonté – selon l’ACCN – des danseurs qui préfèrent ne pas se cantonner à un seul chorégraphe. Mais aussi, le problème des contrats en CDI dont on ne sait que faire en cas de changement de chorégraphe-directeur, la notion de compagnie ne pouvant être prise en compte. Aucun contrat, dans le code du travail, ne correspond à ce genre de situation. Avoir des danseurs permanents complique donc singulièrement la situation.

La création

Ce qui « trinque » finalement, c’est la création. Autrefois au cœur du projet de ces structures, elle devient le parent pauvre des chorégraphes-directeurs, qui ont d’autant plus de difficultés à trouver des coproducteurs qu’ils passent pour des nantis. Et la problématique demeure ouverte : doit-on confier au seul milieu de la danse, et en particulier aux CCN et aux CDC – dont les moyens sont très inférieurs aux autres disciplines artistiques –, la responsabilité de créer et diffuser des spectacles de danse ? N’est-ce pas prendre, in fine, le risque d’une marginalisation encore plus grande de la danse auprès des publics ? Les directeurs de CCN eux-mêmes parlent d’une « surprécarisation des compagnies indépendantes » qui, de plus en plus souvent, n’ont que les CCN ou les CDC comme producteurs.

Bref, diriger un CCN, en l’état actuel, c’est quasiment mission impossible ! À tel point que l’on peut se poser la question de savoir si ce modèle peut encore être enviable pour un chorégraphe qui aurait un renom international et une œuvre  d’envergure à créer…  Mais il semblerait que ce ne soit effectivement plus la question. « Ce ne sont plus les mêmes configurations qu’autrefois, souligne l’ACCN. Désormais, un chorégraphe qui prend la direction d’un CCN sait que c’est pour un temps donné. C’est une vraie notion de service public qui permet de défaire une idée de  hiérarchie des compagnies. Il ne faut pas que la sortie de CCN soit un drame. » Gageons que ça risque même, pour certains, d’être un soulagement !

 

Agnès Izrine

[1] CCN Ballet de Lorraine, CCN Ballet du Rhin, CCN Ballet de Marseille qui ont cette permanence inscrite dans leurs missions ainsi que le Ballet Preljocaj et le Malandain Ballet Biarritz (mais qui emploient un grand nombre de danseurs sur leurs propres forces).

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