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Spécial Opéra - Saison Lyrique 2017-2018

LA FORMATION DES CHANTEURS : QUELS ENJEUX ?

LA FORMATION DES CHANTEURS : QUELS ENJEUX ? - Critique sortie Classique / Opéra
Légende : La maîtrise populaire de l’Opéra-Comique : une initiative originale qui allie projet artistique et projet social. © D.R.

FORMATION ET CHANT LYRIQUE

Publié le 27 septembre 2017 - N° 258

Sabine Devieilhe, Julie Fuchs, Stanislas de Barbeyrac… Une nouvelle génération succède aujourd’hui à Natalie Dessay, Beatrice Uria-Monzon ou Roberto Alagna. Mais comment devient-on chanteur lyrique ? Les Français sont-ils bien préparés aux réalités professionnelles ? Réussissent-ils une carrière au-delà de l’hexagone ? Enquête au cœur de la voix.

La voix est un instrument à part. Instrument organique, sensible aux émotions du chanteur, il est invisible et oblige l’enseignant à parler par images ou par sensations pour se faire comprendre : « visualise une patate chaude dans ton palais ! », « imagine que tu rabats une capuche de moine sur ta tête ! » font partie de ces expressions étranges fréquemment entendues en cours de chant pour évoquer l’ouverture de la gorge ou la rondeur du son. Développer sa tessiture, gérer son souffle, amplifier, homogénéiser, assouplir, tonifier la voix : tels sont les objectifs de la technique lyrique. Mais alors que les musiciens classiques commencent leur apprentissage enfants, les chanteurs ne peuvent accéder aux classes de conservatoire qu’après la mue, vers 18 ans. La mezzo-soprano (et désormais professeure de chant au CRR de Paris et au Conservatoire du 9e) Doris Lamprecht insiste sur l’importance de la « prise de conscience de son corps ». Certes, les maîtrises permettent aux enfants de commencer un travail vocal précoce et quotidien, mais leur maillage, très important avant la Révolution française, est devenu beaucoup plus lâche et n’a pas aujourd’hui la même vitalité qu’au Royaume-Uni ou en Allemagne par exemple.

Se confronter aux réalités professionnelles

Si les conservatoires font partie du cursus classique de la formation des chanteurs, ils ne constituent souvent qu’une étape. La disparition des troupes d’opéra dans les années 70 a privé les artistes lyriques d’une structure qui leur permettait de continuer à se former au contact de leurs aînés, d’apprendre plusieurs rôles du répertoire et de se voir garantir un emploi durable. C’est en partie pour combler ce chaînon manquant que se sont développés les centres d’insertion professionnelle. Académie de l’Opéra de Paris, Nouvelle troupe Favart, Académie d’Aix-en-Provence, Opéra-studio de l’Opéra national de Lyon ou de l’Opéra national du Rhin, Fondation Royaumont, ils sont aujourd’hui légion. Certains sont spécialisés dans un répertoire particulier (la musique française des XVIIe et XVIIIe siècle pour les Chantres de la chapelle de Versailles ou l’opéra-comique français pour la Nouvelle troupe Favart), d’autres proposent un panorama plus large (Royaumont explore le style médiéval comme contemporain en passant par le lied et l’opéra), mais tous ont en commun d’offrir à de jeunes chanteurs de se confronter pendant des périodes plus ou moins longues avec les réalités professionnelles.

Chanter dans un aquarium ou élevé à cinq mètres au-dessus du sol

Car comme le note François Naulot, directeur artistique du programme voix et de l’unité scénique de la Fondation Royaumont, en plus d’une « concurrence énorme, leurs tâches sont de plus en plus lourdes : avec la construction de salles immenses, les jeunes chanteurs doivent trouver la technique la plus saine possible pour gérer leur carrière tout au long de leur vie », mais aussi « s’adapter aux exigences scéniques des metteurs en scène comme chanter dans un aquarium ou élevé à cinq mètres au-dessus du sol ». Emilie Delorme, directrice de l’Académie du festival d’Aix-en-Provence, évoque également « la grande mutation » que représentent les activités de médiation auxquelles doivent se livrer désormais les chanteurs. « Régularité, esprit de troupe, transmission » : voilà quelques clefs auxquelles ces formations donnent accès, comme s’en félicite Sophie Houlbrecque, directrice de la production et de la coordination artistique à l’Opéra-Comique. Il n’est d’ailleurs pas rare que de jeunes talents multiplient les expériences dans ces structures : Lea Desandre fait aujourd’hui partie des artistes résidents de l’Opéra-Comique après avoir intégré l’Académie d’Aix ou le Jardin des voix. Les résultats sont positifs. Tous les professionnels rencontrés relèvent le très bon niveau des chanteurs français, leur aptitude à développer une carrière internationale ainsi que leur curiosité pour différents styles de répertoire. « On a une école d’enfer ! », s’exclame Doris Lamprecht. Jackie Howard, directrice de la programmation artistique des Arts florissants a créé avec Paul Agnew et William Christie le Jardin des voix par lesquels sont passées Sonya Yoncheva ou Amel Brahim-Jelloul. Cette habituée des casting internationaux relève que « les Français sont très forts en style français et manifestent un grand intérêt pour le texte ».

Déjouer les limites sociales

Malgré ce bon bilan, on peut encore pointer trois maillons faibles. L’absence d’une pratique précoce et ludique à l’école. Une prévention contre le métier de choriste, encore trop souvent considéré comme peu gratifiant malgré la réussite d’ensembles comme Accentus, Musicatreize ou les Arts florissants. Enfin, la limite sociale face à une pratique considérée comme élitiste. On ne peut que se réjouir alors d’une initiative comme celle que propose la maîtrise populaire créée par Sarah Koné à l’Opéra-Comique avec le soutien de son directeur Olivier Mantei. Un projet qui offre à des enfants et adolescents n’ayant jamais travaillé la musique de se confronter à la scène via une formation en chant choral et soliste, théâtre, danse moderne et  claquettes. Avec l’ambition, selon Sarah Koné, « de déjouer l’entonnoir social pour ne conserver qu’un entonnoir de talents ».

 

Isabelle Stibbe

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