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"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La formation théâtrale en France

Jacques Lecoq : la pédagogie comme l’art d’un itinéraire patient

Jacques Lecoq : la pédagogie comme l’art d’un itinéraire patient - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

Jacques Lecoq a été un maître essentiel pour bien des artistes contemporains.
D’abord maître d’éducation physique et sportive, il devient comédien chez Jean
Dasté et découvre à Padoue l’art du masque et de la pantomime. En 1956, il fonde
son école et en 1977, le LEM, Laboratoire d’Etude du Mouvement, dédié à une
recherche dynamique de l’espace et du rythme du jeu. Alain Mollot, metteur en
scène et directeur du Théâtre de la Jacquerie, est un ancien élève de Lecoq et a
enseigné à ses côtés.


Vous avez été à la fois élève et professeur chez Lecoq.

Alain Mollot : J’ai été élève en 1975-77, juste après la période
soixante-huitarde. L’école m’a permis de décoller de mon époque. Une des
caractéristiques de Lecoq est d’échapper à la mode : non pas ne pas prendre acte
de ce qui se passe mais travailler sur des choses sur lesquelles tout le monde
peut s’entendre. Lecoq ne proposait pas une formation complète de comédien.
L’école était pour lui « un voyage en plus ». Sortant de la guerre (sa
s’ur, résistante, avait été déportée), marqué par la souffrance, le manque,
Lecoq s’était retrouvé dans les années 50 et 60 dans un bain de discussions dont
il avait voulu sortir en jouant, en faisant. « Joue et tu verras bien »,
disait-il. Plus tard, être prof à l’école a été pour moi une façon d’y revenir
autrement, avec le sentiment de devoir redonner quelque chose. J’y ai trouvé
l’énergie de revenir sur cet enseignement, de l’expérimenter, d’être parfois en
désaccord avec lui, ce qui a relancé mon désir.

« L’école était pour Lecoq « un voyage en plus ». »

Comment ce « voyage » se déroule-t-il ?

A. M. : Le premier mois de la formation est consacré à l’observation de
ce qui précède la parole et se passe dans le corps et l’espace alentour dans les
infimes événements de la vie. Ensuite commence le travail avec le masque neutre,
masque de travail et non de jeu. La neutralité parfaite du visage permet de
retrouver l’homme de tous les hommes qui n?existe pas et qui existe en tous. Le
voyage dans les choses de la vie se prolonge : on revit corporellement les
choses dans une espèce d’anthropomorphisme. Cela ouvre quatre mois d’élaboration
d’un langage commun qui se fait en dehors du discours. Tout part de la sensation
intérieure. L’élève perd la parole en la désapprenant. Des choses, on arrive peu
à peu à l’humain jusqu’à une enquête de deux mois dont on ramène un compte rendu
théâtral. Ainsi s’achève la première année, année complète d’observation. La
deuxième année est consacrée à la formation du comédien. L’élève franchit les
obstacles les uns après les autres : le mime (cette étape est la Bible des
anciens élèves qui y reviennent toujours), la commedia dell’arte, le masque, la
tragédie, le ch?ur, l’art carnavalesque, les bouffons et enfin le clown, ultime
étape de la dérision de soi qui est celle où l’on se trouve. Tout cela compose
un itinéraire.

Y a-t-il une « patte » Lecoq ?

A. M. : L’élève de l’école se caractérise par sa modestie. Il sait qu’il
faut travailler, avoir de la patience. « Il faut cinq ans pour digérer »,
disait Lecoq. En outre, la pédagogie de l’école pousse vers le groupe : c’est le
groupe qui révèle l’individu. Pointer l’individu, c’est le pousser vers
l’immodestie. Les comédiens formés chez Lecoq sont sensibles à la construction
créative, ne serait-ce qu’à cause de « l’auto-cours » qui dans leur
formation, chaque semaine, les oblige à se mettre en groupe et à produire
quelque chose. A une certaine époque, certains metteurs en scène craignaient les
gens de chez Lecoq car ils en savaient trop ! Ils ont reçu la pédagogie comme un
art, pas comme une étape vers autre chose, ce pourquoi ils sont souvent
eux-mêmes pédagogues.

Propos recueillis par Catherine Robert

Bibliographie :

Le Corps poétique ? Un enseignement de la création théâtrale, de Jacques
Lecoq. Actes Sud-Papiers. Le Théâtre du Geste, mimes et acteurs, ouvrage
collectif sous la direction de Jacques Lecoq. Bordas. Les deux Voyages de
Jacques Lecoq
, film réalisé par Jean-Noël Roy et Jean-Gabriel Carasso. On
Line Productions.

 

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