La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Le Cirque contemporain en France

Exercer le corps et exercer la pensée

Exercer le corps et exercer la pensée - Critique sortie
Crédit photo : DR Légende photo : Marie-José Mondzain

Formation du corps et de l’esprit

Publié le 11 novembre 2014

Philosophe et spectatrice assidue de la scène des arts, Marie-José Mondzain accompagne des artistes de cirque dans leur processus de création. De 2008 à 2012, elle a mené un atelier de réflexion philosophique au Centre national des arts du cirque, dans le cadre des enseignements d’« Arts et Humanités ». Elle explique ici sa maïeutique singulière et ses réflexions sur la formation des circassiens.

« Une école doit se garder de ne viser que l’exploit en traitant le sujet circassien comme un corps sans âme. »

Comment percevez-vous les spécificités et les enjeux de la formation des circassiens ?

Marie-José Mondzain : La maîtrise technique est le prérequis pour accéder à la création, puisqu’elle permet de se débarrasser des contraintes ; elle ne s’oppose pas à l’art, elle en est la condition nécessaire et jamais suffisante. Pour autant, les circassiens ne sont pas que des corps entraînés pour réaliser des performances. Comme tout être humain, ils vivent dans la totalité de leur subjectivité pensante, de la tête aux pieds. Les aventures du corps sont des aventures de l’esprit : elles ont à voir avec les idées, les concepts, les pulsions, les fantasmes. La pensée a besoin de se nourrir et de s’exercer autant que le corps, l’un et l’autre formant tout l’êtreUne école doit se garder de ne viser que l’exploit en traitant le sujet circassien comme un corps sans âme lorsqu’il est au travail : une telle posture pédagogique engendre de la souffrance et dans le meilleur des cas de la révolte. Le risque est de chercher à atteindre, comme partout désormais dans le monde, un niveau d’excellence dans les performances, un triomphe rentable dans la virtuosité. Ainsi peut se perdre l’enjeu fondamental : celui de produire plus d’humanité grâce aux gestes de la création. Exercer la pensée est tout aussi important que le perfectionnement des compétences physiques.

Que transmettre et comment transmettre pour les accompagner dans leurs réflexions et la construction de leur personnalité artistique ?

M-J. M. : Je suis arrivée au CNAC avec mes outils, mon questionnement philosophique et les interrogations suscitées par les spectacles de cirque que je vois assidument. Les étudiants se sont aperçus, à travers les thèmes que je développais, que nous avions les mêmes problèmes mais que nous les abordions avec un langage et une expérience différents. Nos discussions portaient sur l’histoire de leur corps, de leur force, sur leur rapport à la mort, au danger, à la performance, à l’histoire du spectacle, mais aussi sur l’économie, sur le politique, sur le monde que nous partageons… Faire partie du monde du spectacle n’est pas une position innocente car elle est liée au commerce mondial du divertissement. Nous parlions donc du rapport entre le divertissement, la création et la culture, le théâtre et le cirque, l’art des écrans, de la scène et de la piste. L’essentiel repose sur la rencontre elle-même, sur la base d’une véritable égalité dans le questionnement dans une différence reconnue, due non seulement à l’écart de nos générations, mais aussi à nos outils.

Comment la question de la création se pose-t-elle à ces futurs artistes ?

M-J. M. : Contrairement au théâtre, l’appui du texte et du répertoire est absent ou presque. L’apprenti circassien n’est pas en contact avec la solennité des chefs-d’œuvre de la culture consacrée par les institutions. Le travail semble sans appui et les circassiens sont d’emblée aux prises avec la question de la création, sans autre médiation que leur propre corps : « ce que je fais a-t-il ou non une qualité d’art ? ». Dans un domaine comme le cirque, où pèsent les contraintes imposées par les agrès et l’acquisition de la pratique, le débat porte sur les conditions de la liberté, sur les rapports entre la maîtrise, le désir, l’émotion et la liberté que l’on doit conquérir pour pouvoir l’offrir aux autres. C’est l’affaire d’une vie… L’école ne peut qu’œuvrer pour déployer en eux toutes les ressources de la maîtrise d’une discipline tout en visant à son dépassement, c’est-à-dire en préservant la liberté de ceux à qui elle transmet les règles de l’art.

 

Entretien réalisé par Gwénola David

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