La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La musique Baroque en France

Dans les méandres du financement de la musique ancienne en France

Alexandre Tharaud et Pierre Hantaï /
Clavecin, piano et musique ancienne

Comment interpréter la musique ancienne pour clavier ' Tel est l’objet du débat réunissant le claveciniste Pierre Hantaï et le pianiste Alexandre Tharaud. Le premier est connu pour ses interprétations en soliste (Les Variations Goldberg de Bach, les sonates de Scarlatti…) et en musique de chambre, avec ses frères ou avec son ensemble, Le Concert français. Quant au second, il s’est distingué en jouant sur piano la musique baroque : Bach, mais aussi Rameau et, plus récemment, Couperin.

Publié le 10 juillet 2008

Dans les méandres du financement de la musique ancienne en France

Les ensembles baroques voient leur modèle économique confronté à de nouvelles problématiques : décentralisation, mécénat privé… Confusion et aberration règnent dans le secteur.

La profusion française d’ensembles de musique ancienne est unique au monde. Elle s’explique en grande partie par le système des aides publiques et le statut de l’intermittence du spectacle. Mais à l’heure où le milieu culturel s’apprête à vivre de nombreuses réformes, beaucoup d’ensembles s’interrogent sur leur financement. Le business model du baroque français est-il à l’abri des aléas de la conjoncture ‘ Selon l’enquête 2006 de la Fevis (Fédération des ensembles vocaux et instrumentaux spécialisés), les ensembles sont subventionnés en moyenne à hauteur de 37 %. Un montant d’aides publiques qui ferait pâlir les formations étrangères. Mais à l’échelle de la France, il est intéressant de comparer ce pourcentage à celui des subventions des orchestres permanents. Pierre Choffé, président de la Fevis, a fait le calcul : « La subvention de cinquante ensembles spécialisés correspond à celle d’1,5 orchestre permanent, comme celui de Lille. En moyenne, les orchestres permanents sont subventionnés à hauteur de 80 %. Si les aides publiques venaient à disparaître, les orchestres permanents ne pourraient plus fonctionner. Par contre, les ensembles spécialisés pourraient encore réinventer un autre modèle de financement. » En détaillant les subventions publiques accordées aux ensembles, on constate le rôle capital joué par le Ministère de la Culture. Plus de 40 % des aides proviennent directement de l’Etat. Une manne qui est cependant bien difficile à obtenir pour les jeunes ensembles. « Le Ministère, depuis de nombreuses années, subventionne toujours les mêmes formations. Et aujourd’hui, il est impossible de se frayer une place, car le budget stagne», constate un responsable d’ensemble, sous couvert d’anonymat. L’interrogation est légitime : le Ministère ne devrait-il pas faire davantage preuve d’innovation dans son octroi de subventions ‘ Faut-il envisager un redéploiement de ces aides, à défaut d’une augmentation ‘ Pour l’instant, il paraît clair que la Rue de Valois joue la sécurité, de peur sans doute de créer des tensions sociales en cas de non-renouvellement d’une aide. Certains ensembles redoutent également une mise en application de la lettre adressée cet été par Nicolas Sarkozy à la Ministre de la Culture Christine Albanel, mentionnant une « obligation de résultats » des structures subventionnées.
 
Résidences en régions
 
Au cœur des débats politiques, la décentralisation a un impact sur les ensembles de musique ancienne. Ainsi, l’aide des régions est passée de 26,8 % du total des subventions publiques en 2004 à 29,8 % en 2006 (enquête Fevis). Des chiffres qui expliquent pourquoi les ensembles cherchent à tout prix à obtenir une résidence en région. Cependant, là aussi, le marché commence à devenir saturé. Rares sont les régions à ne pas avoir de formation historique à domicile. Les départements offrent quant à eux une aide moyenne de 10 % du total des subventions publiques. Un chiffre cependant très variable selon les départements. Certains se montrent particulièrement engagés, et lancent ainsi des résidences départementales. C’est le cas de l’Isère, qui vient d’accueillir dans ce cadre la Chambre Philharmonique. Une situation complexe, puisque Les Musiciens du Louvre y sont déjà présents… La Vendée mène également une forte action en ce domaine, créant même son propre label discographique « Musiques à la Chabotterie » destiné à soutenir l’ensemble en résidence, La Simphonie du Marais. Enfin, les municipalités ont réduit leurs aides aux ensembles : elles passent de 14,89 % en 2004 à 11,9 % en 2006 (enquête Fevis, sur le total des subventions publiques). Néanmoins, la place grandissante accordée aux collectivités territoriales fait parfois grincer les dents de certains responsables d’ensembles. Ceux-ci dénoncent la partialité de décisions prises dans un contexte de trop grande proximité.
 
Faibles aides européennes
 
Les ensembles sur instruments anciens sont en partie composés de musiciens européens et donnent souvent leurs concerts en tournée dans le continent. Mais l’Europe fournit-elle des aides ‘ Le chiffre parle de lui-même : les aides européennes correspondent à 0,4 % du budget de subventions des ensembles. « L’Union européenne n’a pas de politique culturelle, remarque Pierre Chauffé. Et les dossiers à remplir pour obtenir les quelques aides européennes existantes sont extrêmement complexes, ils nécessitent d’employer une personne à cet effet. » Pour favoriser le développement de la musique ancienne en Europe, une organisation a cependant été créée en 2000 : le REMA (Réseau Européen de Musique Ancienne). Mais cette structure, fondée par le directeur du Festival d’Ambronay, Alain Brunet, voit aujourd’hui son leadership disputé, entre anglo-saxons et francophones. Le credo d’origine s’avère pourtant totalement pacifique. « Nous cherchons à développer des projets communs entre différentes structures, par exemple monter un opéra conjointement avec les festivals d’Utrecht et de Sablé », explique Patrick Lhotellier, vice-président du REMA. Au-delà du domaine artistique, l’organisation entend aussi peser sur des questions économiques. « Nous essayons, auprès de la commission européenne, de faire abolir les frontières fiscales qui sont des entraves à la libre circulation des artistes », poursuit Patrick Lhotellier. Aujourd’hui dirigé par Jan Van den Bossche, le REMA réunit pas moins de cinquante structures, venant de plus de douze pays. Une profusion qui n’est pas pour arranger l’actuelle cacophonie de l’organisation.
 
« le mécénat privé est un complément »
 
Les ressources privées font aujourd’hui l’objet de toute l’attention des ensembles. Pourtant, la part de ce mécénat reste confidentielle, stagnant à moins de 5 % du montant total des ressources propres des ensembles, qui correspondent à 63 % du budget total. Mais pour de nombreuses formations, c’est le seul moyen de débuter avant l’octroi de fonds publics. Secrétaire général de la fondation Orange, Olivier Tcherniak dit avoir reçu « plus de mille demandes d’ensembles l’année dernière ». Depuis la création, il y a vingt ans, de ce fonds dédié à la musique vocale, quatre-vingt dix ensembles ont été soutenus, dont 70 % spécialisés en musique ancienne. « Nous avons voulu suivre et accompagner le renouveau du baroque, poursuit Olivier Tcherniak. Notre règle est de soutenir les ensembles durant cinq ans. Ce qui nous permet de prendre des risques… » Fort d’un budget annuel d’un million cinq cent mille euros, le mécénat musical d’Orange a ainsi permis de lancer des ensembles comme Le Concert d’Astrée ou Il Seminario Musicale. Mais quel intérêt ont les entreprises à soutenir le baroque ‘ « Cela permet de développer les relations publiques du groupe », explique Edith Lalliard, directrice du mécénat de la Caisse des dépôts et consignations, précisant que « les entreprises sont aujourd’hui plus soucieuses d’image que dans le passé ». « Mais, pour les ensembles, le mécénat n’est qu’un complément », ajoute-t-elle. Car la situation française reste bien différente du sponsoring britannique. La loi de 2003, facilitant la démarche des entreprises mécènes, n’a en tout cas pas provoqué un raz-de-marée de ce type de financement dans l’hexagone.
 
La manne des festivals
 
Ce qui mobilise les ensembles c’est avant tout de développer leur diffusion, c’est- à-dire de trouver des concerts. Parmi les ressources propres des formations spécialisées, la vente de concerts représente quasiment 80 %. C’est donc leur principale source de revenus. A commencer par les festivals. « La France est le pays qui compte le plus de festivals, rappelle Pierre Chauffé. Un tiers des concerts des ensembles spécialisés s’y déroule. »
Réduction des coûts oblige, les ensembles fonctionnent généralement avec des équipes administratives très réduites. Outre l’administrateur, on trouve un chargé de production, un comptable et éventuellement un chargé de communication. Ces petites équipes se mêlent à un groupe artistique composé quasi exclusivement d’intermittents. Une configuration qui permet une certaine souplesse et une réactivité efficace. Mais qui, d’un autre côté, favorise une indéniable précarité. Le modèle économique des ensembles baroques est donc pleinement libéral. Parfaitement dans l’air du temps…
 
A. Pecqueur

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