Le Cirque contemporain en France
Créateur de sa discipline
Artiste interprète ou créateur ?
Publié le 11 novembre 2014Après des années d’entraînement et de compétition en gymnastique, Jean-Baptiste André a découvert le cirque. Formé au CNAC et spécialisé dans l’équilibre sur les mains et le travail du clown, il alterne créations personnelles, au sein de l’association W, qu’il a fondé en 2002, et travail d’interprète pour artistes issus d’autres disciplines.
« Chaque artiste de cirque façonne et sculpte sa propre discipline. »
Quel a été votre parcours ?
J.-B. A. : Par intuition, par capacité physique, selon sa dextérité ou sa force, on choisit une spécialité de cirque. Mais avec l’expérience, on comprend qu’on a choisi cette discipline autant qu’elle vous a choisi. Jeune, j’ai fait beaucoup de gymnastique, et j’ai découvert le cirque comme une alternative : c’est devenu une passion. Je suis entré au CNAC et j’ai choisi d’apprendre les équilibres sur les mains, en même temps que j’ai eu la possibilité de suivre une formation de clown. J’avais envie de ce rapport au sol pratiqué sans agrès, qui laisse une totale liberté, et sans doute aussi que cette quête d’équilibre était la mienne : notre discipline nous raconte. A la sortie du CNAC, en 2002, j’ai assez vite pu travailler mes propres projets.
Vous considérez-vous comme créateur ou comme interprète ?
J.-B. A. : C’est beaucoup par le faire, par le travail qu’on se positionne soi-même comme créateur. Je ne me pose pas cette question : je travaille avant tout. Je me place comme créateur lorsque je monte mes projets, en position d’interprète quand je travaille avec un chorégraphe ou un plasticien. Au CNAC, on nous incitait à développer des projets personnels, à développer des idées en vu d’un spectacle, à monter une compagnie. L’école nous a vite encouragés, en fait, à sublimer notre discipline et à essayer de la faire avancer. C’est ainsi que j’ai créé l’association W, ma compagnie, et que j’ai créé Intérieur nuit, mon premier spectacle, dès ma sortie de l’école. Dans le même temps, je suis devenu interprète pour Philippe Decouflé, puis pour d’autres. Mais la distinction entre créateur et interprète est loin d’être aussi franche : ainsi, j’ai aussi parfois l’impression d’être l’interprète de mes propres créations.
Y a-t-il une ambiguïté entre ces deux postures ?
Jean-Baptiste André : C’est une question qui se pose dans beaucoup de disciplines, et particulièrement dans les arts du cirque. C’est une interrogation à élucider, mais je ne crois pas que ce soit forcément une ambiguïté. Personnellement, je me sens créateur à l’endroit de ma discipline de cirque, considérant qu’en la travaillant, qu’en l’interprétant, je participe à la créer, tout en ayant la chance de développer mes propres projets. On peut être interprète pour d’autres en étant créateur : chaque artiste de cirque façonne et sculpte sa propre discipline. On doit sans cesse apprivoiser notre corps, le pétrir, le travailler, le muscler pour qu’il soit capable de virtuosité, afin de pouvoir abandonner la technique que l’on a intégrée, dans une forme de lâcher-prise, de revisitation de son propre mouvement, de personnalisation, ce qui est, en soi, une création. L’artiste de cirque utilise son corps de façon intense et totale : il se pose, toujours, dans la mesure de cette nécessité physique qui est une contrainte, la question de savoir comment continuer et prolonger le rapport à sa discipline. Etre interprète c’est continuer à apprendre, à se former : c’est pour cela que, personnellement, je veux continuer à l’être. D’autant que suivre ce qu’on vous indique, cela repose et ressource beaucoup ! Chaque nouvelle sollicitation d’un créateur me force à me réinterroger, dans l’humilité du départ à zéro, pour trouver ce qu’il faudra utiliser de ma discipline au service du projet qu’on me propose.
Propos recueillis par Catherine Robert