La formation théâtrale en France
« Ce qu’on apprend au théâtre, c’est la distance entre soi et soi. »
Catherine Germain et François Cervantes travaillent ensemble depuis vingt ans
au sein de la compagnie L’Entreprise et cheminent de concert, l’un dans son
travail d’écriture, l’autre dans la recherche autour du masque et du clown.
Qu?est-ce qui vous semble important dans la formation du comédien ?
François Cervantes La formation du comédien est un exercice difficile car
il n?y a pas de fond commun de la syntaxe et des règles de la langue. C’est
pourquoi il est important d’investir des domaines où il y a une formation
objective, comme le travail de la musique ou du chant par exemple ou encore les
arts martiaux, et cela en vue de l’acquisition d’une discipline. Il est
indispensable que l’acteur ne confonde pas son personnage et sa personne, ce qui
est personnel et ce qu’on partage, qu’il évite un rapport trop hystérique et
égocentrique à son métier. De même que le travail de mémoire, la discipline
physique sert donc de tuteur et structure la personnalité.
Catherine Germain : L’apprentissage va avec la maturité de la vie : il y
a des choses qu’on apprend seulement quand on a reçu d’autres apprentissages de
la vie. Il est illusoire de croire qu’on se forme entre dix-huit et vingt-cinq
ans et qu’on n?a plus rien à faire après. C’est une pathologie d’être acteur :
non pas au sens qu’il y a quelque chose à résoudre mais parce qu’il y a quelque
chose à comprendre. Notre puissance créative se trouve à l’endroit d’équilibre
où l’on doute. Se former, c’est apprendre à se mettre en danger, à affronter le
vide, à se préparer à jouer avec l’inconnu. On peut apprendre des formes mais le
plus important est de découvrir quelle personne se cache dans l’acteur.
« Se former, c’est apprendre à se mettre en danger (?), à se désarmer. »
Qu?apporte l’art du clown à une formation de comédien ?
C. G. : Le clown pose la question du présent absolu. Le comédien met du
temps à faire sonner le présent dans la représentation et à comprendre que le
théâtre, c’est des chairs ensemble dans un instant absolu. Jouer, c’est être
contagieux : quelque chose se partage et ce partage est intrinsèque à la
création. Cela suppose que l’acteur soit en accord avec son art et sache le
mettre en relation avec ce qu’il est dans la vie. Je ne sais pas comment on
apprend cela à quelqu’un. Pour moi, le clown n?est pas arrivé de manière
technique dans ma vie. Il est arrivé après un accident, et a surgi dans les
conditions d’un choc de voiture. C’est pourquoi je souhaite aux acteurs
débutants d’avoir des chocs, d’être atteint par des choses impossibles à
analyser, irréversibles. On apprend quand on a un réel désir des choses : si un
acteur ne va pas vers l’inconnu, l’inconnu ne vient pas vers lui. L’important,
plus que la technique, c’est d’arriver à se désarmer, à se mettre en position
d’être touchant. Ce qu’on apprend au théâtre, c’est la distance entre soi et
soi : le comédien passe sa vie à rencontrer quel étranger il est.
Propos recueillis par Catherine Robert