La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La formation théâtrale en France

L’ARTA : fenêtre ouverte sur les traditions non-occidentales

L’ARTA : fenêtre ouverte sur les traditions non-occidentales - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

En juin 1988, sous l’impulsion d’Ariane Mnouchkine, l’Association de
Recherche des Traditions de l’Acteur -ARTA- a été créée par les cinq théâtres de
la Cartoucherie.
Ce lieu unique permet aux acteurs occidentaux pendant une durée moyenne de
quatre semaines de travailler avec les plus grands Maîtres, venus du Monde
entier : Kyôgen ou Kabuki japonais, Karanas d’Inde, théâtre mythologique
amérindien… Des arts ancestraux, codifiés, souvent liés à des rites et appuyés
sur des rythmes de jeu organiques. Une riche confrontation qui redéfinit
l’approche d’un rôle et ouvre l’imaginaire.

Quel est l’intérêt pour l’acteur de se confronter aux traditions non
occidentales ?

L. B. Dès qu’on sort des frontières européennes, la notion de théâtre
s’élargit considérablement, on renoue avec un théâtre, combinant souvent jeu,
danse et chant, qui était celui de nos ancêtres. Les asiatiques ont conservé
davantage leurs traditions tandis qu’en Occident on les a perdues en cours de
route. Le théâtre No par exemple pourrait ressembler à un théâtre antique grec.
Au Japon, en Inde, en Chine, la relation de maître à disciple est essentielle.
Souvent on a l’impression que les orientaux improvisent, en fait ils possèdent
un ensemble de mouvements très codés, qui constituent un matériau pour raconter
une histoire. L’idée est de se confronter à ces grands acteurs, ces immenses
artistes, maîtrisant parfaitement leur art, et qui ont valeur d’exemple.

J.-F. D. A travers cette transmission se pose la question de l’approche
d’un rôle. En Occident au fil du vingtième siècle quand on a réfléchi à l’art de
la mise en scène ou de l’acteur, des gens comme Stanislavski se sont demandés
comment apprendre à être acteur, comment faire pour que l’acteur puisse conduire
un rôle de bout en bout. On a beaucoup développé à ce moment-là, et c’est une
spécificité occidentale, la pratique de l’improvisation, visant à pouvoir
libérer son potentiel imaginatif, à pouvoir puiser dans sa propre personnalité
pour la mettre dans la confrontation avec le rôle. Dans les échanges que nous
menons, les orientaux sont attirés par cette disponibilité de l’acteur
occidental. Ce que nous recherchons auprès des orientaux, c’est la précision
d’une partition scénique qui permet à un acteur de trouver sur scène des
repères, un corps, une musicalité et un rythme qui font parfois défaut au
théâtre européen. Cette manière de décliner diverses situations, riche et
complexe, crée des grammaires de jeu dans lesquelles l’acteur peut puiser. La
rencontre avec ces techniques constitue une manière de libérer l’imaginaire.
Nous nous situons dans cette transition entre un acteur qui va utiliser toutes
les ressources de l’improvisation et un acteur qui puise dans des codes hérités.
Dans une transmission orientale on imite, tout en construisant sa propre
identité artistique. Dans la tradition occidentale, on déblaie tout ce qui peut
empêcher la créativité.

« Nous nous situons dans cette transition entre un acteur qui va utiliser
toutes les ressources de l’improvisation et un acteur qui puise dans des codes
hérités. »

 

N?est-ce pas un paradoxe de conjuguer une technique très précise et une
liberté créatrice ?

L. B. Copeau disait que pour être libéré il faut maîtriser. Chez les
acteurs traditionnels, on sent une grande liberté car ils maîtrisent
parfaitement la technique. Mais il n?y a aucun intérêt à ne maîtriser que la
technique, les Indiens ou les Japonais le disent, il faut oublier la technique
pour extérioriser quelque chose de l’intérieur. La technique ne suffit pas.

 

J.-F. D. En musique, on reconnaît tout de suite le jeu de Thelonious Monk
ou Glenn Gould. C’est un art de la variation à l’intérieur de la partition.
Chéreau dit que cela ne l’intéresse pas de savoir comment sur scène l’acteur
conçoit le rôle mais comment le rôle l’a modifié. Les grands acteurs rencontrent
leur rôle, ils ont découvert des choses de cette rencontre entre le personnage
et leur propre personne.

Comment se construit le sens dans ces échanges que vous développez ?

J-F D. Les Indiens insistent sur le fait que par la pratique, on forge
des connaisseurs, ce qui importe, outre le surgissement de l’émotion, c’est le
plaisir esthétique partagé entre l’acteur et le spectateur. En outre cette
pratique de l’acteur que nous développons permet de sortir du schéma cartésien
impliquant une séparation du corps et de l’esprit, de la raison et de l’émotion.
La respiration, le mouvement, la dynamique créent le sens. L’important est de
déverrouiller, de sortir de la routine. Il est bon de choisir une direction
sachant que l’autre est possible, de concilier émotions et étude mathématique.
Un exemple : pendant notre « creuset », temps d’exercice du savoir de l’acteur
entre les grands stages, nous avons travaillé avec l’acteur de Kyôgen Ippei
Shygeyama sur Beckett, notamment Acte sans paroles et Va et vient,
pièce que nous avons transcrite phonétiquement telle qu’elle est traduite en
japonais, et que nous avons abordé d’abord en japonais puis en français. Le
travail sur la voix et le souffle a permis de sortir de la banalité des phrases,
d’éclairer la dramaturgie et la substance même de la pièce, en expérimentant
comme si on était étranger à sa propre langue. On peut sortir des habitudes, que
ce soit dans le corps ou le phrasé, qui réduisent les possibilités de la langue.
L’acteur est un être réactif, qui possède une « brûlance », une petite flamme,
rien ne pourra germer sans cette petite vibration, que vous avez envie de
libérer ou sublimer.

Propos recueillis par Agnès Santi

*L’acteur naissant, la passion du jeu, Jean-François Dusigne, Editions
Théâtrales, à paraître fin 2007.

 

A propos de l'événement


x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le spectacle vivant

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le spectacle vivant