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La musique contemporaine dans tous ses états

Caractéristiques du public de la musique contemporaine

Caractéristiques du public de la musique contemporaine - Critique sortie
Crédit : Fabien Bardelli

Publié le 17 novembre 2013

Chercheur au Centre européen de sociologie et de science politique de la Sorbonne (structure réunissant l’Ehess, le Cnrs et l’Université Paris I), Stéphane Dorin vient de publier Dissonance et consonance dans l’amour de la musique contemporaine (dans l’ouvrage collectif Trente ans après la distinction de Pierre Bourdieu, éd. La Découverte), fruit de son étude consacrée au public de l’Ensemble intercontemporain.

« Plus de 20% des spectateurs de l’Ensemble intercontemporain sont titulaires d’un doctorat »

Qu’est-ce qui différencie le public de la musique contemporaine du public de la musique classique en général ?

Stéphane Dorin : C’est un public extrêmement cultivé. Plus de 20% des spectateurs de l’Ensemble intercontemporain sont titulaires d’un doctorat. Dans les années 80, l’Ensemble intercontemporain avait déjà commandé une étude sur son public à Pierre-Michel Menger, qui avait également noté cette tendance. Mais en vingt-cinq ans, cela s’est encore accentué. Cet état de fait s’explique par la démarche de recherche et d’innovation qui caractérise la musique contemporaine, qui s’est coupée du public en général pour séduire un public plus pointu.

Au sein du public de l’Ensemble intercontemporain, peut-on distinguer différents profils ?

S.D. : Je distinguerais quatre groupes. Le premier, qui représente à peu près 15%, réunit les « novices » : des gens plus jeunes, moins diplômés, qui viennent découvrir la musique contemporaine dans le cadre de sorties universitaires ou entre amis. Ce sont des spectateurs qui ne savent pas forcément qui sont Boulez ou Schoenberg. Toute la difficulté est de faire en sorte qu’ils aient une expérience positive du concert et qu’ils reviennent. Le deuxième groupe comprend les « omnivores classiques ». Ils constituent un tiers de l’audience. C’est un public centré sur la musique classique, qui vient au contemporain en faisant confiance à la programmation de la salle. Mais certains peuvent ne pas apprécier, car il n’y a pas de continuité entre le classique et le contemporain. On peut aimer Brahms et détester la création. Il y a ensuite les « experts », un quart des spectateurs, très diplômés, qui ont souvent une formation scientifique, et où l’on constate une passerelle entre le monde de la recherche et celui de la musique contemporaine. Le dernier groupe, 30% environ, est constitué des « avant-gardistes » : ce sont des gens plutôt jeunes, qui ont des goûts musicaux variés. Ils vont en général être plus ouverts aux musiques minimalistes américaines qu’à la deuxième école de Vienne.

A quels défis sont aujourd’hui confrontées, en matière de public, les structures de musique contemporaine ?

S.D. : Quand on analyse la fréquentation de l’Ensemble intercontemporain depuis sa création, en 1976, on constate une stabilité du public. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’y a pas de déclin. Par contre, en plus de trente ans, il y a eu un phénomène de resserrement social, d’« élitisation » et de vieillissement, même si ce dernier aspect est moins prononcé que dans la musique classique en général. Ces phénomènes peuvent être préoccupants à moyen terme. Je remarque que les programmes de l’EIC sont désormais plus ouverts qu’il y a dix ans, notamment vers les courants minimalistes, susceptibles de séduire un plus jeune public.

Que pensez-vous des projets pluridisciplinaires ?

S.D. : Ils fonctionnent très bien. Les programmes avec danse, cinéma ou même opéra permettent d’élargir le public. On touche à un public omnivore, et c’est en ce sens que l’Ensemble intercontemporain a mis en place les week-ends « Turbulences ». Il ne faut toutefois pas survaloriser cet éclectisme des goûts.

Quelle a été votre méthodologie pour cette étude du public de l’Ensemble intercontemporain ?

S.D. : L’étude a commencé en 2007, à l’occasion des trente ans de l’Ensemble intercontemporain, qui souhaitait avoir un bilan sur son public. Sur la saison 2007-2008, nous avons distribué des questionnaires aux spectateurs. Nous en avons recueilli 1515, et nous avons ensuite mené une trentaine d’entretiens individuels, jusqu’en 2011-2012. Et aujourd’hui, je mène une étude sur le public de la musique classique en général.

 

Propos recueillis par Antoine Pecqueur

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