La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Héros-Limite

Héros-Limite - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage Légende photo : Une voix et un accordéon à la conquête de l’incertitude.

Publié le 10 mai 2010

Laurent Vacher met en musique et en voix la poésie balbutiante et bégayante, déstructurée et syncopée de Ghérasim Luca et fait danser ses onomatopées stellaires, angoissées et joyeuses.

Surréaliste né en Roumanie qui avait fait du français, selon le mot de Deleuze « sa langue à soi comme un étranger », Ghérasim Luca invente le langage comme on invente un trésor, dans le prodigieux bégaiement et la répétition obsédante de la syllabe. Il recompose le sens du monde à partir de juxtapositions, de crases, de rencontres presque hasardeuses et d’audaces libertaires : la glaise verbale devient matériau quasi musical. L’impression étrange que procure l’écoute des textes de Ghérasim Luca (et l’effet se renforce quand on entend ses propres enregistrements hallucinants et sa voix rocailleuse comme à bout de souffle) tient au paradoxe, entre compréhension et mystère insondable, de l’union entre mots d’esprit et chair des mots. Car l’abstraction se fait sensuelle chez Luca et le verbe semble pétrir la matière qu’il évoque, métal ou corps de la femme « passionnément » aimée. La syntaxe et le vocabulaire sont violentés à la hauteur tauromachique du rapport sexuel qui, si l’on en croit Lacan, n’existe pas, comme le plein n’existe que par le vide, l’être par le non-être et l’apothéose par le risque du néant, ainsi que le suggère avec malice ce grand connaisseur de la psychanalyse et amateur de métaphysique qu’était Ghérasim Luca.
 
La scène devenue champ opératoire du poème
 
Laurent Vacher compose un spectacle pyrotechnique captivant en mettant en scène cette parole masticatrice de sens, ses envolées pataphysiques, ses fulgurances humoristiques, ses répétitions obsessionnelles et ses élans d’une tendresse bouleversante. Alain Fromager s’empare des textes, de la voix, du corps, de l’amour, de l’aimée du poète, de ses angoissantes litanies et de ses mélopées où la langueur s’achève dans le cri, un cri transcendé par l’extase, seul sens possible pour un homme qui semble se trouver et se pacifier à mesure que les mots surgissent de son corps. Alain Fromager est lumineux d’évidence dans ce rôle, généreux et audacieux, avançant en funambule inspiré sur le fil d’une parole presque pythique. Laurent Vacher confie à Johann Riche le soin de dialoguer à l’accordéon avec cette poésie à laquelle le musicien répond en créateur plutôt qu’en imitateur, jouant de l’humour et de la passion, de la possession et de la distance. Deux aristocrates de la scène sont là qui se répondent : la voix et la musique cheminent de concert, la mélodie console le cri, les mots plaisantent avec les notes. De l’ivresse inspirée d’un dire écorché soutenu par le chant de l’accordéon, surgissent l’éblouissante beauté des choses et l’intensité époustouflante de l’amour.
 
Catherine Robert


Héros-Limite, de Ghérasim Luca ; poèmes mis en scène par Laurent Vacher et en musique par Johann Riche. Du 23 avril au 23 mai 2010. Du mercredi au samedi à 20h et le dimanche à 16h. Maison de la Poésie, passage Molière, 157, rue Saint-Martin, 75003 Paris. Réservations au 01 44 54 53 00.

A propos de l'événement


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