La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Hans Peter Cloos

Hans Peter Cloos - Critique sortie Théâtre
Légende photo : Hans Peter Cloos

Publié le 10 janvier 2009

L’étranger dans la cité

Il s’appelle Sad. Il est Irakien. Déserteur chez lui, clandestin ailleurs. Exilé à Vienne. Pour survivre, il vend des roses dans les restaurants. Les épines plantées dans le cœur. Dans ce monologue écrit en 1993, intitulé Saleté, l’Autrichien Robert Schneider évoque la violence de la condition d’immigré illégal. Le metteur en scène Hans Peter Cloos guide le comédien Florian Carove dans les méandres de cette parole rageuse et déchirée.

« Très vite, il se confronte au concret et découvre la contradiction entre la philosophie et la réalité, entre Goethe et Auschwitz. »
 
Comment l’auteur aborde-t-il le sujet ?
Par le regard d’un immigré clandestin, qui vit un état de crise permanente, parce qu’il doit chaque soir trouver un squat pour dormir, transporter sa vie dans un sac, éviter les attaques des skinheads ou des néo-nazis, se cacher pour échapper aux traques policières. Il livre ses commentaires sur cette terre d’« accueil ». Il erre entre la nostalgie de sa jeunesse en Irak, l’impossible retour là-bas, le plaisir de goûter les saveurs de la langue et des penseurs allemands, et la confrontation avec les gens dans un pays où le passé nazi continue de gronder. Cette façon de déplacer le point vue et de regarder par les yeux d’un personnage socialement faible me fait penser à Thomas Bernhard ou Elfriede Jelinek.
 
Saleté montre comment les étrangers endossent les préjugés pesant sur eux, qui finissent par les définir et les détruire de l’intérieur…
Dans la solitude alcoolisée de la nuit, Sad affronte les fantômes du jour, ces bonnes gens qui portent beau le racisme ordinaire, la haine des différences. Comme dans un cauchemar. Il rentre dans l’âme de ses ennemis et joue leur rôle. Leurs paroles, de celles glanées dans les brasseries viennoises, se glissent dans son corps. Il parle de ses bourreaux avec cette connaissance précise que seules peuvent avoir les victimes. Ce théâtre dans le théâtre me fascine. Sad est toujours à la limite du cynisme, du nihilisme. Et pourtant, il est jeune, il se bat. Même si, face à la dureté de son existence, il doute aussi de son choix, car en désertant l’armée, il a dû abandonner en Irak parents, femme et enfants, sans retour possible.
 
Vous-même êtes étranger en France.
Je suis né à Stuttgart, dans le Sud de l’Allemagne. Mais je me définis avant tout comme un metteur en scène européen. Je travaille en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et surtout en France. Je ne crois plus aux Etats nationaux. Et puis, je jouis dans l’hexagone de tous les droits d’un citoyen…
 
A travers la parole de Sad, se lit aussi le désenchantement d’un étranger sur les pays occidentaux.
Au début, Sad adorait ce pays, ses paysages, sa langue, sa philosophie, ses habitants, son idéal démocratique. Puis, très vite, il se confronte au concret et découvre la contradiction entre la philosophie et la réalité, entre Goethe et Auschwitz.
 
Comment avez-vous travaillé avec Florian Carove ?
Nous sommes d’abord partis de la situation concrète de Sad. Choisir un comédien autrichien, qui parlerait français avec un accent, participait de cette démarche d’aller vers le personnage et de suivre son cheminement. En nous laissant guider par le rythme et musicalité de la langue de Robert Schneider, nous avons cherché la projection du texte dans le corps, dans l’espace. Plutôt qu’un monologue, nous avons essayé de donner chair à la polyphonie des multiples voix et des obsessions qui viennent l’habiter.
 
Le théâtre serait-il un des derniers lieux de réflexion politique échappant aux querelles politiciennes ?
C’est ma conviction, quand le théâtre ne se confond pas avec l‘industrie du divertissement. La scène offre un espace de réflexions partagé sur la société, sur l’humain, sur la mémoire et les angoisses collectives. Il nous nettoie des images et des bruits qui nous assaillent en permanence et empêchent notre capacité de réfléchir et de voir. Le théâtre, dans sa simplicité, – un plateau, un comédien, un texte et un public -, est toujours d’actualité.
 
Entretien réalisé par Gwénola David


Saleté, de Robert Schneider, traduction de Claude Porcell, , mise en scène de Hans Peter Cloos, du 13 janvier a 22 mars 2009, à 19h, sauf dimanche 17h, relâche lundi, au Théâtre des Mathurins, 36 rue des Mathurins, 75008 Paris. Rens. 01 42 65 90 00 et www.theatremm.com. Le texte est publié aux éditions de L’Arche.

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