Hamlet
Un monde de manipulations, frustrations et passions. Thomas Ostermeier concentre sa mise en scène énergique et radicale sur la révolte ratée du jeune Hamlet, incapable d’agir face à un monde corrompu et brutal.
Un bouffon ventru et désespéré, inadapté au monde
Une table de banquet délimite le fond de la scène, symbole ironique où trône un pouvoir immature, où l’on célèbre très vite après l’enterrement le mariage de Claudius et Gertrude. Sur un rideau frangé, accessoire de théâtre par excellence, idéal pour espionner et comploter, les visages sont projetés en gros plan. Cette projection et l’utilisation des micros exposent franchement les confessions des protagonistes, une prise de parole publique, avec témoins, comme dans un tribunal. L’utilisation de la vidéo expose aussi l’incapacité d’Hamlet à agir, trop occupé à une observation assidue voire quasiment obsessionnelle du monde. Dans toutes ses mises en scène, Thomas Ostermeier fait résonner fortement les textes dans l’actualité de notre monde, et s’attache à dénoncer les travers sociaux et politiques y compris à travers des problématiques psychologiques. Ici il concentre sa mise en scène sur la révolte ratée de la jeunesse contre des aînés puissants, corrompus et brutaux. Pour lutter contre cette génération destructrice, Hamlet joue la folie et devient fou à son tour, ce qui mène au triste sacrifice d’Ophélie. Lors d’une très belle scène, émouvante et tragique, elle meurt littéralement étouffée par cette société effrayante. Le metteur en scène dépeint Hamlet comme un bouffon ventru et désespéré, inadapté au monde. C’est d’abord la colère mal dirigée de ce fils rebelle, faisant lui aussi partie du monde décadent qu’il critique, que la mise en scène dénonce avec un talent percutant. Cette lecture radicale et énergique, emplie de bruit, de fureur et de sang, théâtralise parfois à l’excès les effets dévastateurs et meurtriers d’une société pourrie. C’est une analyse hautement concentrée qui nécessairement réduit la profondeur métaphysique du drame de Shakespeare. Si cette actualisation sociologique du drame montre combien le sujet de la jeunesse touche à juste titre le metteur en scène, elle exacerbe parfois trop les relations conflictuelles, et surexpose la vaine révolte du jeune Hamlet, qui a effectivement complètement raté sa cible et s’y prend très mal pour jouer les justiciers. Pour finir, un immense bravo à l’époustouflant acteur Lars Eidinger dans le rôle d’Hamlet.
Agnès Santi
Hamlet de William Shakespeare, traduction Marius von Mayenburg, mise en scène Thomas Ostermeier, du 28 janvier au 8 février du mercredi au samedi à 20h45, dimanche à 17h, au théâtre des Gémeaux, 49 av Georges Clémenceau, 92 Sceaux. Spectacle vu au Festival d’Avignon, en allemand surtitré. Tél : 01 46 61 36 67.