La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Hamlet

Hamlet - Critique sortie Théâtre
© Arno Declair Légende photo : Epoustouflant Lars Eidinger dans le rôle d’Hamlet.

Publié le 10 janvier 2009

Un monde de manipulations, frustrations et passions. Thomas Ostermeier concentre sa mise en scène énergique et radicale sur la révolte ratée du jeune Hamlet, incapable d’agir face à un monde corrompu et brutal.

« Ils sont vivants, les morts couchés sous la terre » dit Sophocle. Au théâtre ils font souvent entendre leur voix douce et écrasante dans le monde des vivants. Le jeune Hamlet, traumatisé par le spectre de son père assassiné, en sait quelque chose. La scène inaugurale, très belle, sous une pluie fine, montre justement l’enterrement du père, roi du Danemark, dans une veine burlesque qui moque le tragique rituel et rappelle joyeusement, en flirtant avec le cinéma, l’incongruité qui caractérise le nouveau pouvoir. Le texte, amputé quasiment de moitié, est traduit en allemand par le dramaturge Marius von Mayenburg, auteur associé à la Schaubühne de Berlin, où le metteur en scène est codirecteur. Comme pour mieux souligner la fragile frontière entre illusion et vérité – un enjeu théâtral de tous les instants ! -, six acteurs interprètent une vingtaine de rôles (la même comédienne joue Gertrude et Ophélie). Si Thomas Ostermeier a choisi de jouer la pièce sur la terre où gisent les corps des générations précédentes, c’est bien pour montrer simplement que la mort et la vie sont indissociablement liées, et surtout que les pères et les pères des pères demeurent nécessairement liés aux nouvelles pousses, qui doivent lutter pour se libérer de leur emprise, et construire une forme d’indépendance. En l’occurrence le lien entre les générations pose ici de graves problèmes, cette terre omniprésente qui rappelle à chacun sa mortalité, parfois macule les corps et les visages, s’engouffre dans les bouches,  montre bien la difficulté à trouver sa place dans un monde barbare et décadent de fin de régime. Comme symptôme alarmant de cette déliquescence, une famille pervertie et hypocrite : Claudius, un oncle d’une élégance inquiétante et glacée qui a pris la place du père, et Gertrude, une mère puissante, sexy et manipulatrice.

Un bouffon ventru et désespéré, inadapté au monde

Une table de banquet délimite le fond de la scène, symbole ironique où trône un pouvoir immature, où l’on célèbre très vite après l’enterrement le mariage de Claudius et Gertrude. Sur un rideau frangé, accessoire de théâtre par excellence, idéal pour espionner et comploter, les visages sont projetés en gros plan. Cette projection et l’utilisation des micros exposent franchement les confessions des protagonistes, une prise de parole publique, avec témoins, comme dans un tribunal.  L’utilisation de la vidéo expose aussi l’incapacité d’Hamlet à agir, trop occupé à une observation assidue voire quasiment obsessionnelle du monde. Dans toutes ses mises en scène, Thomas Ostermeier fait résonner fortement les textes dans l’actualité de notre monde, et s’attache à dénoncer les travers sociaux et politiques y compris à travers des problématiques psychologiques. Ici il concentre sa mise en scène sur la révolte ratée de la jeunesse contre des aînés puissants, corrompus et brutaux. Pour lutter contre cette génération destructrice, Hamlet joue la folie et devient fou à son tour, ce qui mène au triste sacrifice d’Ophélie. Lors d’une très belle scène, émouvante et tragique, elle meurt littéralement étouffée par cette société effrayante. Le metteur en scène dépeint Hamlet comme un bouffon ventru et désespéré, inadapté au monde. C’est d’abord la colère mal dirigée de ce fils rebelle, faisant lui aussi partie du monde décadent qu’il critique,  que la mise en scène dénonce avec un talent percutant. Cette lecture radicale et énergique, emplie de bruit, de fureur et de sang, théâtralise parfois à l’excès les effets dévastateurs et meurtriers d’une société pourrie. C’est une analyse hautement concentrée qui nécessairement réduit la profondeur métaphysique du drame de Shakespeare. Si cette actualisation sociologique du drame montre combien le sujet de la jeunesse touche à juste titre le metteur en scène, elle exacerbe parfois trop les relations conflictuelles, et surexpose la vaine révolte du jeune Hamlet, qui a effectivement complètement raté sa cible et s’y prend très mal pour jouer les justiciers. Pour finir, un immense bravo à l’époustouflant acteur Lars Eidinger dans le rôle d’Hamlet. 


Agnès Santi


Hamlet de William Shakespeare, traduction Marius von Mayenburg, mise en scène Thomas Ostermeier, du  28 janvier au 8 février du mercredi au samedi à 20h45, dimanche à 17h, au théâtre des Gémeaux, 49 av Georges Clémenceau, 92 Sceaux. Spectacle vu au Festival d’Avignon, en allemand surtitré.  Tél : 01 46 61 36 67.

A propos de l'événement


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