« Le Chef-d’œuvre inconnu », Michel Favart réinvente la quête visionnaire de l’art, portée par la grâce de Catherine Aymerie
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Avignon / 2025 - Entretien / Gwenaël Morin
Dans le cadre du projet Démonter les remparts pour finir le pont, Gwenaël Morin s’empare du plus ancien texte de théâtre, et interroge l’aboulie politique, la passion de la guerre et la jouissance de la déploration.
Avec qui travaillez-vous cette année ?
Gwenaël Morin : Avec des acteurs et des actrices qui habitent Avignon et que j’ai rencontrés au fil de différents ateliers de théâtre que j’y ai mené depuis 2023. J’irai plus loin l’an prochain et je réussirai à faire en quatre ans ce que j’avais prévu de faire en un. Puisque je continue le travail avec les amateurs, je vais travailler sur les tragédies antiques. Les Perses, avec Jeanne Bred, Julie Palmier, Fabrice Lebert et Gilféry Ngamboulou, préfigurent la suite. Cette pièce est la plus ancienne des tragédies antiques qui nous sont parvenues. Il y avait, à l’époque, cohabitation sur scène entre le chœur, composé d’amateurs bénévoles, et les acteurs. Ce mélange faisait partie des conditions du concours à l’occasion duquel elles étaient jouées. Le chœur demandant un financement pour son entretien, un chorège devait acquitter la charge de leur accueil. En 472 av. J.C., Périclès fut celui des Perses. Aristote va jusqu’à dire qu’on ne peut pas être un citoyen grec accompli si on n’a pas participé à un chœur de tragédie. Ces pièces étaient écrites pour cela : on accroît sa conscience politique en participant à la fiction. Évidemment, on fantasme sur la citoyenneté athénienne, et on oublie que pour 10000 citoyens, 70000 esclaves travaillaient, mais cela dit quelque chose de l’engagement et de l’implication par la pratique des spectateurs ! Cette année, il n’y aura pas encore d’amateurs sur scène, mais je continuerai les ateliers à partir de septembre prochain. Venez m’aider à faire du théâtre / Euripide : voilà un indice de ce qui suivra !
Quelle traduction choisissez-vous ?
G.M. : Je me suis basé sur différentes traductions, avec celle de Paul Mazon comme axe, en simplifiant, clarifiant, m’appropriant le texte en le réécrivant, comme une traduction de traduction, une belle infidèle, pourrait-on dire. Eschyle écrit huit ans après la bataille de Salamine. Quatre ans avant, Phrynichos avait écrit Les Phéniciennes, autour d’un chœur pathétique de femmes perses. Eschyle les remplace par des vieux caciques agrippés au pouvoir, qui ont envoyé le jeune Xerxès se battre pour rester les seuls gardiens du trésor perse. Quand Xerxès, qui a fui en abandonnant ses armées, pleure et exhorte le chœur à pleurer, Eschyle tend un miroir à ses concitoyens. On peut y voir une critique de la démocratie athénienne, et, en cela, elle est pour nous une pièce prémonitoire.
Pourquoi ?
G.M. : Parce qu’elle est un appel à se ressaisir. Passons à l’action au lieu de nous préparer à pleurer ceux qui vont mourir. Nous assistons aujourd’hui, impuissants, sidérés et passifs, à l’annonce quotidienne de la catastrophe et de la fatalité inexorable de la guerre. Ce n’est pas possible ! Évacuons la catastrophe dans la catharsis. Pleurons un bon coup, mais passons à l’action ! Si cette pièce sert à quelque chose, c’est pour en finir avec l’attente et la déploration : en finir avec la dictature de l’atermoiement et du scandale qui ne provoque que les larmes. Monter Les Perses est une commande de Tiago Rodrigues : c’est une formidable intuition. Il semblerait que les dieux ont infligé la défaite aux Perses pour avoir osé abolir la mer. Poséidon punit leur hubris. Faire des ponts, forcer le lien ne sont pas forcément louables. Il y a un principe de relation qui suppose la distance. L’absence de pont, c’est la reconnaissance de l’autre rive. Ce qui m’intéresse, avec Démonter les remparts pour finir le pont, ce n’est pas de faire un ouvrage d’art. Je cherche à démonter pour réutiliser, pas à détruire. Je cherche, sur la base d’une tragédie originelle, à faire une histoire commune, que nous pourrons nous raconter les uns aux autres. Il y a quelque chose à créer dans la distance et la séparation : voilà pourquoi le pont d’Avignon ne sera jamais terminé.
Propos recueillis par Catherine Robert
à 22h ; relâche le lundi.
Tél. : 04 90 14 14 14.
Durée : 1h45.
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