A la découverte d’O’Neill
Guy Freixe a demandé à Jean-Pierre Siméon d’opérer une nouvelle traduction des pièces d’Eugène O’Neill, singulier dramaturge américain de l’entre-deux guerres. Résultat : un triptyque tourné vers la mer, l’or et les rêves, où chaque histoire met en mouvement de profonds conflits psychiques.
Bien que prix Nobel de littérature en 1936, Eugène O’Neill n’est pas très connu en France…
Guy Freixe : Effectivement. En dehors de Désirs sous les ormes mise en scène par Mathias Langhoff, ses pièces ont été très peu montées ici. Il a commencé à écrire pour le théâtre à 28 ans dans un mouvement d’une extrême cohérence. Il avait bourlingué sur les mers et se retrouvait en cure au sanatorium. Devenir dramaturge fut sans doute pour lui une façon d’affronter son père, un grand acteur de mélodrame, et de rentrer dans un milieu qu’il avait voulu rejeter.
Qu’est-ce qui rapproche les trois pièces que vous avez choisies ?
G.F : Il est question de transmission, de relation père-fils, chacune des pièces sollicite des archétypes et laisse surgir le refoulé. Ce sont trois pièces en un acte qui forment une sorte de variation musicale autour des thèmes de la mer, de l’or et des rêves. O’Neill écrit face à l’Irlande, face à la mer, qui au-delà du jeu de mots, est un motif maternel. Celui-ci agit d’ailleurs dans les pièces comme une houle, comme une véritable respiration.
« Il est question de transmission, de relation père-fils, chacune des pièces sollicite des archétypes et laisse surgir le refoulé. »
Que racontent ces pièces ?
G.F : Chaque histoire est une sorte de parabole. La Corde voit un père mettre à l’épreuve son fils, une corde pendue dans la grange qui attend pour le châtier. Dans Soif, une chanteuse de cabaret, un matelot et un gentleman tentent de s’entendre pour survivre en pleine mer, à la dérive sur un petit radeau. Et leurs rêves, qui leur permettent de lutter, ont le temps de flamber. Mais dans L’Endroit marqué d’une croix, la thématique s’inverse : pour un père et son fils enfermés dans une chambre, le rêve devient une pieuvre qui les enferre, un « rêve morphine » comme disait O’Neill. Des noyés reviennent alors sur la scène de leurs hallucinations.
O’Neill propose-t-il un théâtre entre réalisme et fantastique ?
G.F : O’Neill était très imprégné d’Ibsen et de Strindberg, de réalisme symbolique. J’ai donc choisi un plateau incliné, une musique envoûtante, et des costumes teints passés au filtre. Il est judicieux que les personnages soient ancrés dans le réel mais aussi passeurs de ces mouvements psychiques profonds que véhiculent les histoires.
Pourquoi avoir demandé à Jean-Pierre Siméon une nouvelle traduction ?
G.F : O’Neill est d’origine irlandaise, et l’Irlande est une terre contrastée. C’est un mélange de violence et de tendresse. Aux répétitions, j’ai apporté à mes acteurs des photos de paysages irlandais, avec ces alternances de prairies et d’à-pics. La langue d’O Neill traduite par Siméon leur ressemble : c’est un lyrisme entrecoupé de termes crus, un mélange d’âpreté, de rudesse et de nervosité. La précédente traduction était plus littéraire et estompait trop ces reliefs.
Propos recueillis par Eric Demey
Triptyque : La Corde, Soif, L’Endroit marqué d’une croix d’Eugène O’Neill. Mise en scène de Guy Freixe. Les 6 et 7 novembre 2009 à 20h30, au Pôle Culturel, Parvis des Arts, 94140 Alfortville. Tél : 01 58 73 29 18. Du 7 au 12 décembre au Café de la danse, 5 passage Louis-Philippe, 75011 Paris. Tél : O1 47 00 57 59.