La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Classique / Opéra - Entretien

Gustav Leonhardt

Gustav Leonhardt - Critique sortie Classique / Opéra

Publié le 10 novembre 2008

Une vie avec Bach

Musicien essentiel de la seconde moitié du XXème siècle, le claveciniste, organiste et chef d’orchestre Gustav Leonhardt, aujourd’hui âgé de 80 ans, est l’un des acteurs-clés de la révolution baroque initiée aux Pays-Bas au début des années 60. Il revient ici avec modestie, sincérité et franchise sur sa perception de la musique de Bach et les questions liées à son interprétation. Rencontre avec une légende vivante.

Quel est votre premier souvenir lié à la musique de Bach?
Gustav Leonhardt : Je ne sais pas exactement… J’étais encore un petit enfant car chez mes parents, qui n’étaient pas musiciens, il y avait du Bach. Et puis surtout mon père, qui faisait partie du comité de la Société Bach de Hollande m’amenait chaque année dans une belle église où l’on donnait la Passion selon Saint Matthieu et la Messe en si. Cela m’a marqué pour toute ma vie.
 
Intimement, sentiez-vous que quelque chose d’essentiel se jouait à l’intérieur de vous dans cette rencontre avec cette musique-là?
G. L. : Absolument. Les bonnes choses, les merveilles de la vie, on ne peut jamais les expliquer mais elles sont là heureusement, et souvent…
 
Diriez-vous que Bach est un compositeur “à part”?
G. L. : Oui, dans sa qualité, mais même plus que ça, et de nouveau c’est un mystère, parce qu’il me touche beaucoup plus que les autres. Evidemment, il est extrêmement intéressant comme compositeur. Si on le compare avec Haendel par exemple, Bach est beaucoup plus varié et complexe. Il a essayé tant de choses. Il adapté et amélioré tous les styles. Et du point de vue de la technique de composition, il est presque unique.
 
Bach a totalement envahi votre vie…
G. L. : Oui.
 
Vous vivez avec Bach, sa musique, son univers… Pourtant, Bach aurait pu ne pas exister.
G. L. : Non, je ne peux imaginer ma vie sans Bach. Toute ma vie a été influencée musicalement par lui. Mais on ne peut jamais connaître un grand artiste sans connaître le milieu dans lequel il vivait. On apprend beaucoup aussi en étudiant ses contemporains et les traités de son époque. Il n’est pas tombé du ciel à un certain moment. C’est pourquoi je joue beaucoup d’autres musiques que celles de Bach, de la fin du XVIème jusqu’à un peu après lui.
 
Bach a changé votre vie mais vous-même avez en quelque sorte changé la musique de Bach. Etes-vous conscient de votre poids historique sur la question de l’interprétation de sa musique ?
G. L. : Non. Non, j’ai fait de mon mieux mais je n’étais pas le seul. Je ne peux même pas dire que j’ai fait ce qu’il fallait faire. Bien sûr, j’ai voulu jouer sa musique le mieux possible, c’est-à-dire de la façon la plus proche de la manière dont il l’aurait jouée. Mais la musique n’est jamais fixée. Donc, il y a toujours beaucoup de nuances et de différences possibles. Il reste beaucoup de choses à découvrir, que l’on espère découvrir mais que peut-être l’on ne découvrira jamais. J’ai fait de mon mieux. Je ne peux pas dire plus.
 
Depuis les années 50, l’interprétation de la musique de Bach a tout de même beaucoup évolué…
G. L. : Enormément et heureusement ! C’était vraiment triste : pendant tout le XIXème siècle et la première moitié du XXème les gens achetaient des mauvaises éditions de Bach, avec des indications d’articulations modifiées, et jouaient sur leur piano une musique au contenu sans intérêt. Cela a beaucoup changé mais pas encore complètement parce qu’on entend encore des interprétations qui n’ont rien à voir avec les possibilités de l’époque de Bach.
 
On a souvent parlé de révolution baroque, pour évoquer ces années 60-90…
G. L. : Ce n’était pas une révolution, c’était un nettoyage !
 
De ce mouvement baroque, quel est selon vous l’aspect le plus important ?
G. L. : Le terme « authentique » est terrible mais il dit tout de même qu’il existe une version idéale d’une œuvre d’art. En peinture, en architecture ou en sculpture, on peut vraiment dire « ça c’est la version que l’artiste a voulue ». Cet idéal de ne pas changer l’œuvre d’art, en couleurs ou en formes, est la chose essentielle de ce mouvement de Renaissance baroque. Dans la musique, on s’est mis à étudier les circonstances de l’époque, les possibilités des instruments, l’ornementation, l’articulation, etc….
 
Dans ce mouvement baroque qui a aussi été une mode, vous êtes-vous parfois senti trahi dans vos convictions par des musiciens qui se revendiquaient abusivement du même mouvement…
G. L. : Non. Je ne suis pas le pape qui dit ce qui est bien ou non. Même si je ne suis parfois pas d’accord avec certaines idées d’interprétation, je ne détiens pas la vérité. Parfois, c’est vrai, j’entends des choses qui ne sont basées sur rien et qui font semblant d’être historiques. Ça me vexe un peu. Mais ça passe.
 
L’authenticité, est-ce la transparence de l’interprète ?
G. L. : Je ne veux pas être interprète parce que cela voudrait dire que je traduis quelque chose pour le faire comprendre aujourd’hui. Je ne veux justement pas ça. Donc, je ne suis pas un interprète. Je veux simplement présenter l’œuvre avec mes connaissances et mes possibilités. Je prends l’œuvre d’art de quelqu’un d’autre et je dois la comprendre en ayant la volonté de ne pas la changer.
 
« Il est absolument impossible de jouer Bach sur un piano moderne. Je trouve que c’est une attitude primitive et même égoïste »
 
 
Votre approche des oeuvres de Bach continue-t-elle de beaucoup évoluer ou avez-vous l’impression d’être allé au bout de votre propre perception de ces partitions ?
G. L. : Entre les deux ! J’évolue assez peu, de mon point de vue. Je ne sens pas que je fais des choses très différentes de ce que je faisais il y a 20 ans. Peut-être parce qu’avec l’âge on espère atteindre une certaine sagesse. Tout est plus intégré. Je n’ai pas changé fortement récemment en faisant une nouvelle découverte. Absolument pas. Mais cela n’a jamais été le cas en fait. Tout est toujours allé lentement, les petites découvertes s’ajoutant les unes aux autres.
 
A quel moment de votre vie avez vous senti que vous alliez, même si c’était avec d’autres, apporter quelque chose de décisif, de totalement nouveau à l’interprétation de Bach ?
G. L. : Jamais. Parce que je n’ai jamais voulu dire maintenant, finalement, je présente la vérité et les autres, jusqu’à maintenant, ont fait des choses mauvaises. Je n’ai jamais pensé « Je lance quelque chose de nouveau qui est la vérité ». Je n’ai jamais senti ça. Je n‘ai jamais joué contre une autre interprétation. J’avais simplement un intérêt pour Bach. C’est tout ! J’ai joué comme je croyais que Bach avait envisagé les choses. Je m’en fichais de savoir ce que les autres, public ou collègues, pensaient de mon travail. Heureusement, le public, qui était très peu nombreux au départ, s’est finalement beaucoup développé. Cela a été une chance pour moi et ma carrière mais cela n’a joué aucun rôle.
 
Aujourd’hui, que pensez-vous lorsque vous entendez un pianiste jouer la musique de Bach sur un piano moderne ?
G. L. : Il est absolument impossible de jouer Bach sur un piano moderne. Je trouve que c’est une attitude primitive et même égoïste. Ils se fichent de Bach et de l’œuvre. Ils prennent l’œuvre et la jouent à leur manière, même s’ils disent qu’ils jouent de manière dépouillée, sans pédale, avec respect… Ce n’est pas vrai parce qu’ils ne comprennent absolument rien. Le piano a de merveilleuses possibilités pour Brahms et Debussy mais c’est un autre monde.
 
Quels sont vos projets d’enregistrements ?
G. L. : C’est fini. J’en ai fait assez. J’ai presque tout enregistré. Et je suis content d’avoir pu le faire. Et je n’ai plus de projets… Je crois ! En tout cas, pour l’instant rien n’est prévu. Je fais mes concerts et je suis heureux…
 
Propos recueillis par Jean Lukas.


Lundi 17 novembre à 20h30 au Théâtre des Bouffes du Nord. Tél. 01 46 07 34 50. Places : 22 €.
 

Oeuvres de Henri Du Mont, Louis Couperin, Jean-Henri d’Anglebert, Jean-Sébastien Bach (Quatre petits préludes ; «O Gott, du frommer Gott», con partite) et Antoine Forqueray.

A propos de l'événement

Spécial Bach

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