La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre

Frédéric Maragnani, metteur en scène

Frédéric Maragnani, metteur en scène - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 janvier 2009

L’aventure théâtrale en partage

Le jeune metteur en scène, qui chemine avec amour aux bras des écritures contemporaines, se penche aujourd’hui sur Le Cas Blanche-Neige, de Howard Barker.

On ne dirait pas, quand on prend un café avec lui… Des yeux noirs attentifs, ourlés de longs cils, une parole posée, franche mais jamais piquante, et avec ça, l’humilité des travailleurs de terrain et la modestie de ceux qui fuient l’esbroufe. On ne dirait pas que ce trentenaire aux airs presque timides nous embarque avec ravissement dans de folles équipées théâtrales. Rappelez-vous : Ma Solange, Comment te dire mon désastre, Alex Roux. Une traversée au long cours dans la langue digressive de Noëlle Renaude, plus de 2000 voix qui se chevauchent et s’enchaînent pendant 24 heures. Du gringue au Guinness ? Point du tout. Pas faiseur pour deux sous, amoureux caressant des déliés du langage et fouineur impénitent, Frédéric Maragnani s’attaque en priorité aux textes qui ne se donnent pas d’emblée. « J’aime chercher le mode d’emploi de l’écriture, tenter d’inventer une nouvelle grammaire scénique qu’elle suscite ». Plutôt que de se faire les dents en remâchant le répertoire, il défriche sa voie en fréquentant Noëlle Renaude, Emmanuel Texeraud, Philippe Minyana, Eugène Durif, Nicolas Fretel, Howard Barker… « Des chercheurs qui ont fait exploser les codes dramaturgiques, qui engendrent leur univers. » Leurs œuvres figurent dans son tiroir secret, à côté de quelques classiques comme Tchékhov ou Wedekind.

« Le fonctionnement global de la machine théâtrale me passionnait »

On essaie alors de l’imaginer gamin, aux ateliers théâtre du mercredi après-midi où ses parents l’avaient collé parce qu’il n’arrêtait pas de « faire le con à la maison. ». Ou plus tard, jeune homme rêvant de premiers rôles, au Conservatoire de Bordeaux. Finalement, il optera pour la mise en scène. « Le fonctionnement global de la machine théâtrale me passionnait plus que le métier de comédien. C’est un plaisir et un désir que d’organiser la rencontre entre un écrivain, des interprètes, des créateurs scéniques, les équipes des lieux, le public… tous ceux qui participent à la réalisation d’un projet. Au fond, je suis un entremetteur ». En 1996, il fonde sa compagnie. Et vogue la galère ! Pas facile de monter des contemporains pour débuter, dans un milieu qui vénère les références et préfère souvent l’aventure à la « française ». « Pendant cinq ans, j’ai mangé des pâtes tous les jours ! Mais c’était le temps nécessaire pour mûrir mon dessein. Ce sont les auteurs qui m’ont le mieux parlé des signes de la scène. Nos « pères » ont largement ignoré leur rôle de transmission vis-à-vis des jeunes générations ». Il se crée donc des filiations, se construit en lisant des écrits théoriques, Vitez, Meyerhold. Du premier, il a gardé cette foi dans l’utopie d’un théâtre d’art accessible à tous, quitte à faire ricaner les désabusés « post-modernes » qui prolifèrent dans notre époque. De Meyerhold, il a retenu que le spectateur figure parmi les quatre éléments fondamentaux du théâtre. « Notre secteur vit de plus en plus recroquevillé sur lui-même. Il est primordial aujourd’hui de s’adresser aux gens, de penser sa création ouverte aux spectateurs ».

« Barker ignore la morale. Il digère l’apport de la psychanalyse et met à nu toutes les structures sous-jacentes du désir. »

Frédéric Maragnani se construit surtout en discutant avec les auteurs. Qu’est-ce qui fait théâtre ? La situation ? La parole ? Pourquoi et comment entre-t-on en scène ? « J’ai grillé tous mes forfaits de portable avec Noëlle Renaude à force de triturer ces questions ! ». Rencontrer la personne qui se cache derrière le livre est devenu une manière de travailler. « Leur façon d’être, de parler, leur environnement… m’apprennent beaucoup sur leur œuvre. Pour Le Cas Blanche-Neige, je suis allé à Brighton. Howard Barker m’a reçu dans sa maison… tellement cosy ! » Une ambiance d’une élégance feutrée qui tranche net avec la cruauté de la pièce. « Barker ignore la morale. Il digère l’apport de la psychanalyse et met à nu toutes les structures sous-jacentes du désir qui traversent le conte des frères Grimm ». Sous sa plume, tour à tour lyrique, poétique, parfois triviale, argotique, voire obscène, la fable devient une tragédie de la féminité, un parcours initiatique du réel, un rite de passage d’un état d’enfance à une vie adulte sexuée. « Barker joue sur deux registres : le théâtre de situation, qui s’appuie sur des personnages, des dialogues, et le conte, qui fonctionne sur des figures et une parole déclarative. D’où la difficulté pour les comédiens. Nous avons passé beaucoup de temps à la table pour déceler les rythmes, les dissonances et les harmoniques entre les voix, pour trouver l’ossature. Je travaille souvent à l’oreille. Maintenant, il nous faut imaginer la partition du plateau. ». Encore une fois, Frédéric Maragnani se lance dans l’inconnu. Mais il adore ça !
 
Gwénola David


Le cas Blanche-Neige (comment le savoir vient aux jeunes filles), de Howard Barker, mise en scène de Frédéric Maragnani, du 4 au 20 février 2009 du mardi au samedi à 20H00, dimanche à 15H00 aux Ateliers Berthier-Théâtre de l’Odéon. Le texte est publié aux Editions Théâtrales. Rens : www.theatre-odeon.fr, 0144854040. Portrait lors de sa venue au Théâtre Jean Vilar à Suresnes.

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