Un texte bouleversant d’humanité
Christian Dumais-Lvowski a réalisé [...]
Focus -228-Théâtre de l’Ouest Parisien
Daniel San Pedro, comédien et metteur en scène, et Brigitte Lefèvre, qui fut directrice de la Danse de l’Opéra National de Paris pendant près de vingt ans, ancienne danseuse et chorégraphe, signent la mise en scène des Cahiers de Nijinski.
Comment avez-vous abordé ce projet ?
Brigitte Lefèvre : Peu après mon arrivée à l’Opéra il y a environ vingt ans, j’avais apprécié le spectacle Journal de Nijinski avec Redjep Mitrovitsa. Je n’imaginais pas qu’au moment même où j’allais quitter l’opéra, je ferais une nouvelle rencontre avec ce texte ! Ce projet est advenu grâce à Clément Hervieu-Léger, que je connais depuis plusieurs années. Et Jean-Christophe Guerri accompagne Clément sur scène, il n’est évidemment pas un double de Nijinski, c’est une autre figure, une autre âme qui est là, avec cette tenue qu’ont les danseurs, et il ne danse pas, comme Nijinski cesse de danser le jour où il commence la rédaction de ses cahiers.
Daniel San Pedro : Nous ne nous sommes pas répartis les tâches mais travaillons ensemble. Nous avons débuté par un travail sur la dramaturgie, et très rapidement, nous sommes passés au plateau en explorant à la fois le texte, l’espace et le corps. Ce qui nous intéresse, c’est la dualité ; Clément n’est pas là pour jouer ni Jean-Christophe pour danser. Le rapport au corps et à l’espace fait ici écho au déséquilibre qui saisit Nijinski : il ne peut plus danser et son esprit vacille.
Il sombre tout en étant lucide…
D. S. P. : Nijinski lutte contre cette perte terrible en s’efforçant d’être concret, lucide, cohérent, en cherchant à savoir pourquoi il est en train de sombrer. C’est cette perte d’équilibre, ce moment de fragilité très émouvant que nous voulons mettre en lumière. Il rédige de façon frénétique dans l’urgence, il sait qu’il est encore capable de tenir un raisonnement, de comprendre certaines choses et de mettre des mots sur des sensations et des questions, et peut-être pressent-il que bientôt tout sera perdu. Cette parole très vivante qui convoque une foule de souvenirs, dont des souvenirs d’enfance, peut d’ailleurs faire écho à nos propres relations à nos aînés ou à nos parents.
B. L. : Nijinski est ici dans son humanité, encombré de toutes ses pensées. Contraint depuis l’enfance par son entourage, il est dans un dédoublement, une démultiplication, et en même temps recentré sur lui-même. Il sombre, fuit, s’arrête, revient, s’échappe, s’enfonce, survole. On est dans un mouvement perpétuel. Il ne veut pas être rattrapé et il est toujours à la recherche de lui-même. Ses sensations passent par un corps discipliné et un esprit qui le survole. Nijinski se consacre à l’art, bien loin de toute idée de posture, et même les postures de danse, il s’en échappe. Nous voulons être dans une forme d’empathie avec lui, en le considérant et en l’éclairant.
Entretien réalisé par Agnès Santi
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