La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -295-Un théâtre émancipateur à la Comédie de Saint-Etienne

Un rêve réalisé, entretien avec Benoît Lambert

Un rêve réalisé, entretien avec Benoît Lambert - Critique sortie  SAINT ETIENNE Comédie de Saint-Etienne - Centre Dramatique National
© Valérie Borgy : « Benoît Lambert, metteur en scène et directeur de la Comédie de Saint-Etienne »

Entretien

Publié le 18 décembre 2021 - N° 295

Du Centre dramatique national de Dijon à celui de Saint-Etienne, Benoît Lambert trace un chemin d’homme de théâtre intimement lié aux valeurs de partage, de transmission et de valorisation des différences.

Qu’est-ce qui vous a décidé à postuler à la Comédie de Saint-Etienne ?

Benoît Lambert : Diriger ce centre dramatique était pour moi un rêve… D’abord parce qu’il comprend une école, dans laquelle j’ai passé du temps, ayant été le parrain d’une de ses promotions. Ensuite, l’histoire de cette maison, avec Jean Dasté (ndlr, fondateur de la Comédie de Saint-Etienne), est au cœur de l’aventure de la décentralisation. Il y a aussi la ville elle-même qui, avec son passé ouvrier et industriel, est extrêmement inspirante. Elle se réinvente aujourd’hui d’une manière exemplaire en misant sur l’art et la culture. Saint-Etienne est une ville multiculturelle, hospitalière, une ville qui a la classe ! Elle possède une forme d’élégance qui me touche beaucoup.

Quel projet défendez-vous à la tête de ce théâtre ?

B.L. : Mon premier engagement a été de ne pas venir seul. Sophie Chesne m’accompagne en tant que directrice adjointe. J’ai également voulu partager cet outil avec des artistes, à qui j’ai proposé de porter un regard sur ce lieu, ce territoire, cette école, afin que mon projet se déploie dans un dialogue commun avec elles, puisqu’il s’agit presque exclusivement de femmes (ndlr, Pauline Bureau, Maïanne Barthès, Marguerite Bordat et Pierre Meunier, Françoise Dô, Pauline Laidet, Adeline Rosenstein, Caroline Obin). Tous ensemble, nous composons une fabrique de théâtre. Je suis moi-même l’un des artistes de cette fabrique. J’assume tout à fait ma position de directeur, mais à l’endroit de la création, il me paraît juste d’être un parmi les autres.

Quelles actions souhaitez-vous mener pour les territoires ?

B.L. : Mon souci du territoire, qui est l’un des grands axes de mon projet, n’a rien à voir avec une logique néocoloniale ou néopaternaliste qui consisterait à vouloir apporter la culture à ceux qui ne l’ont pas. En cela, je suis fidèle à Dasté, Copeau ou Vilar, qui pensaient que la seule façon d’inventer un art dramatique nouveau est de s’adresser à des publics qui n’ont pas d’attentes sur le théâtre, de créer avec eux et non pour eux. Tout le travail que j’accomplis en direction de la jeunesse s’inspire de cette idée. Nous avons besoin des publics adolescents, car devant eux nous pouvons nous permettre des choses plus audacieuses. Si nous voulons faire de l’art dans des territoires populaires, ce n’est pas pour cultiver leurs habitants, mais pour partager des choses avec eux.

« Saint-Etienne est une ville qui a la classe ! »

La rencontre de l’art avec la jeunesse est essentielle pour vous…

B.L. : Oui, c’est une chose qui m’importe depuis longtemps, comme m’importe la rencontre avec toutes les personnes qui s’occupent de la jeunesse. Je souhaite continuer de chercher avec ces personnes comment on peut travailler avec les adolescents. Un autre pôle important de mon projet est la formation des acteurs à l’Ecole de La Comédie ainsi qu’au sein de notre Classe préparatoire aux concours des écoles de théâtre. Je m’intéresse à toute la chaîne de la transmission : depuis l’école au sens de l’éducation nationale, jusqu’à l’école au sens de l’école d’art. Cela avec la conviction profonde qu’il ne faut pas faire une éducation à l’art, mais une éducation par l’art. Il y a quelque chose à retisser entre l’éducation nationale, l’éducation populaire et l’art, afin d’imaginer un grand pacte solidaire visant à mettre en place une éducation émancipatrice. En arrivant à Saint-Etienne, j’ai proposé à des jeunes comédiens (Estelle Brémont*, Baptiste Febvre*, Théophile Gasselin* et Maud Meunissier*) de venir passer la saison avec nous. Je cherchais quatre jeunes gens pour jouer dans L’Avare. J’ai également créé avec eux Bizaravar, un spectacle de 50 minutes à destination des collégiens. Au sein de ce faux exposé sur Molière, deux points de vue opposés s’expriment au sujet de L’Avare.

Quelle relation entretenez-vous avec le théâtre de Molière ?

B.L. : L’Avare est la quatrième pièce de Molière que je mets en scène. Le fait que notre plus grand dramaturge ait aussi été un immense acteur est une chose à méditer. Le théâtre de Molière est vraiment un théâtre écrit par et pour une troupe. Quand on travaille ses pièces, il y a toujours un moment où l’on entre en communication avec la troupe. Et ça, c’est très émouvant. Molière était un formidable anthropologue. Son théâtre est d’une méchanceté incroyable et d’une drôlerie absolue.

Comment abordez-vous L’Avare ?

B.L. : Par le passé, j’ai pu être tenté par l’actualisation. Je pense à présent que lorsqu’on met en scène une pièce du XVIIème siècle, il faut modestement se dire qu’elle ne parle pas d’aujourd’hui. En revanche, elle peut parler à aujourd’hui, nous permettre de mesurer un écart, une distance historique. Il m’importe que cette distance soit visible. Avec mon scénographe, Antoine Franchet, nous avons imaginé un décor de toile et de bois, comme une chose à l’ancienne : sans vidéos, sans micros. Il y a finalement une forme d’exotisme assez inspirante à s’en tenir aux situations, aux coups de bâtons, aux quiproquos. L’Avare est une histoire d’un autre temps : je souhaite que cela se voie. Bien sûr, ce sont des corps d’aujourd’hui qui seront présents sur scène (ndlr, Emmanuel Vérité* interprète Harpagon). Ces corps, inévitablement, imprimeront quelque chose de notre modernité.

 

* Comédiennes et comédiens associés à la Comédie de Saint-Etienne.

 

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

L’Avare
du mardi 18 janvier 2022 au samedi 29 janvier 2022
Comédie de Saint-Etienne - Centre Dramatique National
Place Jean-Dasté, 42 000 Saint-Etienne.

Tél. : 04 77 25 14 14.

www.lacomedie.fr

Du 2 au 11 février au Théâtre Dijon Bourgogne.

Bizaravar, tournée du 28 février au 30 avril en Loire et Haute-Loire.

 

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