La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -261-Claire Diterzi

Scène de concert ou plateau de théâtre, la même passion de créer

Scène de concert ou plateau de théâtre, la même passion de créer - Critique sortie Théâtre
© Micky Clément Claire Diterzi, chanteuse contemporaine.

Entretien Claire Diterzi

Publié le 21 décembre 2017 - N° 261

Au-delà des règles encadrant la production de la chanson, au-delà des frontières entre disciplines et genres musicaux, le parcours de Claire Diterzi est une éclairante histoire d’émancipation.

En quoi votre parcours est-il atypique ?

Claire Diterzi :  S’il est atypique, mon parcours s’appuie cependant sur une constante : j’ai composé toute ma vie. Depuis que j’ai 16 ans, j’écris et j’interprète des chansons. J’ai commencé dans les années 1980 par l’expérience d’un groupe de rock alternatif, Forguette Mi Note. J’ai aussi composé et chanté pour le chorégraphe Philippe Decouflé, composé des musiques de films documentaires, des partitions sonores pour des metteurs en scène, dont Marcial Di Fonzo Bo. J’ai interprété et nous avons coécrit ensemble Rosa la Rouge, dédié au parcours de Rosa Luxemburg. Plus récemment, j’ai composé à partir de pièces de Rodrigo Garcia 69 Battements par minute, puis, en lien avec cet opus, la performance Je garde le chien, qui se fonde sur le journal de bord que j’ai tenu pendant un an jusqu’à l’aboutissement de l’album, et qui divulgue le processus intime menant à la création. Cette double expérience des concerts et du plateau de théâtre m’a beaucoup nourrie.

Etre une femme a-t-il influencé votre parcours ?  

C. D. : J’ai vraiment dû me battre contre des préjugés sur mon sexe en tant que porteuse de projets. J’ai été rabaissée, humiliée. J’aime beaucoup cette analyse de Rodrigo Garcia qui considère que quand on a l’intention de créer, on doit mettre toute sa sensibilité de côté. Je me bats, c’est toujours la colère qui prend le dessus et me permet d’avancer. Le terme de compositrice demeure quasi une appellation interdite : il y a très peu de femmes reconnues dans la composition musicale. Lorsque j’ai été nommée pensionnaire à la Villa Médicis en 2010, j’ai été d’emblée suspecte, illégitime à la fois en tant que femme et en tant que chanteuse. J’étais « la pouf qui fait de la pop » dans une institution jusque-là réservée à la musique savante. Il était pour certains inconcevable qu’une chanteuse soit respectée en tant que créatrice.

Quelles sont les spécificités de la chanson par rapport à d’autres domaines de la création artistique ?

C. D. : Si la chanson est à tort considérée comme un champ artistique qui ne serait pas aussi noble, aussi poétique et aussi qualitativement musical que d’autres, c’est d’abord parce que le mercantilisme et l’industrie culturelle ont pris le pas sur le geste artistique. Le milieu de la chanson est gangrené par le souci de rentabilité, alors que les metteurs en scène ou chorégraphes, subventionnés par de l’argent public, s’inscrivent davantage dans une exigence artistique. Ils se posent la question du sens et de la finalité de leur création, essaient d’inscrire leurs parcours dans un territoire, dans une durée. Lorsque je fabrique un objet scénique, j’explore une question qui me fascine : un artiste doit-il éveiller les consciences ou rassurer ? Ni objet de désir en tant que femme, ni objet de rentabilité en tant que chanteuse, je suis motivée par l’authenticité du geste créatif et la question du sens.

« Lorsque je fabrique un objet scénique, j’explore une question qui me fascine : un artiste doit-il éveiller les consciences ou rassurer ? »

Est-ce pour être libre que vous avez créé en 2015 votre propre label, votre structure éditoriale et votre compagnie de théâtre musical, intitulés Je garde le chien ? 

C. D. : Je ne pouvais plus avancer, j’étais abattue, alors que créer, c’est ce qui passe avant tout dans ma vie. Je me suis retrouvée en carafe, d’autant plus que les réseaux de diffusion ont tendance à cloisonner les publics. En créant mon label et ma compagnie de théâtre musical, j’ai choisi l’indépendance, même si cette liberté s’est mesurée à une série de renoncements et de sacrifices, à de grands moments de doutes et de pleurs. Mais je suis allée au bout du processus, je me suis retroussé les manches. Je suis parvenue à récupérer les masters et les éditions de mon label précédent. J’ai pris le risque de monter seule ma tournée, avec le soutien d’une femme de théâtre, Martine Bellanza. Les scènes nationales et mes partenaires de toujours m’ont suivie. Et le ministère de la Culture a conventionné ma compagnie de théâtre musical pour trois ans, une reconnaissance rare pour une chanteuse. En frottant la chanson à d’autres arts, je cherche à créer des espaces de liberté artistique nouveaux, à faire bouger les lignes. On imagine parfois que je suis dans la revendication ou une forme de provocation, mais je fais les choses sans calcul parce qu’elles viennent du plus profond de mon être, parce que mon cœur les dicte. Et ça me rend heureuse !

 

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement



Livre-disque, digipack et vinyle, disponible le 26 janvier 2018.

Tournée nationale en 2018 et 2019. www.claire-diterzi.fr

Dates en janvier en Ile-de-France. Les 12 et 13 Le 20 janvier à 20h30 et le 21 à 16h au Théâtre de Châtillon. Tél : 01 42 53 05 30. Les 27, 30 et 31 janvier, les 1er et 3 février 2018 à 20h au Centquatre-Paris dans le cadre du Festival Les Singuliers #2. Tél : 01 53 35 50 00.

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