Un canard comme vous et moi
Rémi Rauzier s’est inspiré du conte d’Andersen, a fouillé dans les souvenirs d’enfance de ses compagnons d’aventure et a modernisé cette histoire d’exclusion et d’émancipation en la débarrassant de ses oripeaux aristocratiques.
Pourquoi choisir le pluriel dans le titre de cette pièce ?
Rémi Rauzier : Je ne voulais pas conserver le titre d’Andersen car il ne s’agit pas vraiment d’une adaptation du Vilain petit Canard. Je suis parti dans l’imaginaire à partir d’Andersen et des souvenirs que chacun de nous avait. Nous sommes tous des vilains petits canards ! Nous avons tous ressenti cette espèce de différence voire de rejet, l’impression de n’être pas à la bonne place, l’impression que la cour de récré est une basse-cour où règne la loi du plus fort.
Qui est le vilain dans l’histoire ?
R. R. : Vilain, ça peut vouloir dire laid physiquement mais aussi laid moralement, méchant. Les vilains petits canards sont aussi les méchants petits canards, ceux qui sont contre celui qui est tout seul. C’est la horde qui est vilaine. Quand on est un vilain petit canard, rejeté, inadapté, qu’on n’arrive pas à rentrer dans le langage collectif, on éprouve une grande joie quand on y arrive, quand on entre dans la horde, et on peut alors devenir persécuteur à son tour. Une façon de s’intégrer consiste à rentrer dans le rang et la milice.
« Nous sommes tous des vilains petits canards ! »
Pourquoi montrer la cruauté aux enfants ?
R. R. : Parce que les enfants sont cruels et qu’ils aiment bien la cruauté, la peur. Quand on est enfant, la peur est constitutive de l’appréhension du monde. Dans les contes, les ogres, les sorcières, les loups sont autant de témoins de ce besoin des monstres pour exorciser la peur.
Dans quelle mesure vous éloignez-vous d’Andersen dans ce texte ?
R. R. : Chez Andersen ce que subit le petit canard est complètement injuste. Il est innocent. Sa résilience est un conte de fées puisque sa laideur était une beauté qui n’était pas vue par les bons yeux. Il y a là quelque chose de très autobiographique chez cet auteur qui a toujours voulu être un poète, rêvant de noblesse et de succès pour échapper à la petite bourgeoisie dont il était issu. Découvrir qu’il était un cygne lui a ouvert un monde magnifique. Dans mon texte, je n’ai pas voulu conserver cet aspect car il m’évoque trop l’opposition entre sang noble et sang impur. J’ai envie que cette pièce garde le parfum d’Andersen mais qu’y figure aussi quelque chose de plus moderne, déconnecté de la morale et du monde de cet auteur. Je veux plutôt traiter de la sensation du rejet en général, qu’on retrouve dans beaucoup de contes d’ailleurs. Nous préférons lire dans ce conte un récit de formation, un voyage initiatique : l’enfant, en grandissant, doit apprendre à se connaître, à s’accepter, même si son entourage lui renvoie une image négative et ne l’aide pas à développer l’estime de soi. Andersen fait de son héros un surdoué rejeté par les gens ordinaires. Dans cette pièce, nous avons voulu que ce vilain petit canard puisse être n’importe qui.
Propos recueillis par Catherine Robert