Une année sans été
Une création conçue comme projet [...]
Focus -212-Odéon ~ Théâtre de l’Europe
Angelica Liddell, performeuse époustouflante, invective et pleure la jeunesse perdue, et elle déverse sa charge violente contre les mères.
« Mon travail consiste à examiner ma propre souillure et la souillure dont les autres sont faits. » lâche Angelica Liddell d’un souffle rageur. Hargneux, radical, provocateur, son théâtre trouble, dérange, gratte à vif les plaies et les contradictions d’une humanité vérolée par l’ennui. Les mots pilonnent, et cognent, tous azimuts, raclent les silences complices ferrés dans la masse du quotidien, choquent l’inavouable planqué au cœur pourri du présent. Lancés par rafales, ces mots-là éructent leur colère noire et puante où macèrent l’ignominie ordinaire et les bouffonneries sanglantes du commerce des âmes. Atrabilaire passionnée, performeuse sidérante, la dramaturge et metteuse en scène espagnole crache son dégout à la face du monde avec la fureur désespérée d’un cri d’amour. « Car ma méthode, pour exister, consiste à être l’opposé de tout le monde. Pas d’un seul mais de tout le monde. » ajoute l’auteure, qui avoue qu’« écrire est une manière de pleurer, de compenser la solitude. »
Refus d’être mère
Dans Tout le ciel au-dessus de la tête (Le syndrome de Wendy), Angelica Liddell évoque la jeunesse perdue, la peur d’être abandonnée. Elle pique réflexions et déjections sur sa propre névrose, déverse sa charge violente contre les mères, contre le « supplément de dignité » qu’enfanter rapporte immédiatement. L’île norvégienne d’Utoya, où, en 2011, Anders Breivik assassina 69 jeunes gens, condamnés par balles à ne pas vieillir, devient Neverland, le Pays imaginaire de Peter Pan. S’y trouve Wendy, qui vadrouille aussi à travers Shanghai, croise un orchestre, des princesses et des danseurs de salon chinois tourbillonnant dans une valse suave. Le corps habité par une fièvre flamenco, Angelica Liddell soliloque, vocifère, à la fois punk, volcanique et fragile, poignante dans sa mélancolie misanthrope, tandis que The House of the Rising Sun, la chanson des Animals, revient comme un entêtant refrain. Quelques vers du poème de Wordsworth murmuré par Natalie Wood dans la Fièvre dans le sang, film d’Elia Kazan, fredonnent alors doucement et consolent cette solitude : « Si rien ne peut ramener l’heure / De la splendeur dans l’herbe, de l’éclat de la fleur, / Au lieu de pleurer, nous puiserons / Nos forces dans ce qui n’est plus.»…
Gwénola David
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