La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -303-Au théâtre de Caen, un art total qui magnifie la scène et interroge l’époque

Patrick Foll développe une aventure artistique nourrie de croisements féconds

Patrick Foll développe une aventure artistique nourrie de croisements féconds - Critique sortie  Caen Théâtre de Caen.
Légende : Patrick Foll Crédit : Philippe Delval

ENTRETIEN / PATRICK FOLL

Publié le 24 septembre 2022 - N° 303

En soutenant les formes hybrides, Patrick Foll développe, depuis 2001, une aventure artistique qui s’inscrit dans les gènes du théâtre de Caen. Le directeur de l’institution normande évoque les grandes lignes de la prochaine saison.

Comment le dialogue entre théâtre et musique nourrit-il votre programmation lyrique ?

Patrick Foll : Ce qui m’intéresse, c’est d’interroger les formes lyriques et de positionner l’opéra comme art total, à la fois théâtre et musique. Autour du Combattimento, la théorie du cygne noir, Silvia Costa et Sébastien Daucé ont imaginé un spectacle qui, au carrefour du texte et de la musique, remonte à la naissance de l’opéra italien. The Indian Queen de Purcell reconstitue l’intégralité de cette œuvre hybrique qu’est le semi-opéra. Contrairement à Peter Sellars qui, en 2013 avait transformé le texte de Dryden et Howard, Guy Cassiers a choisi de conserver la pièce originelle. Wagner avait conçu Tristan und Isolde comme un drame musical, dont Pelléas et Mélisande sera une sorte de miroir autour du thème de l’amour absolu. Et, en passant commande à Martin Matalon pour le Neinsager (Celui qui du non), dans le cadre d’un partenariat avec le théâtre de Caen, l’Orchestre Régional de Normandie complètera le diptyque de Brecht, pour lequel Weill n’avait écrit de musique que pour le Jasager (Celui qui dit oui). Cette production fera par ailleurs un clin d’œil à l’histoire du théâtre de Caen, car c’est la Maison de la culture qui était dans ses murs, avant que l’institution ne prenne son nom actuel, qui avait donné la création française de l’œuvre de Brecht et Weill.

Treemonisha est un autre exemple de croisement entre les genres. Pourquoi avoir choisi d’ouvrir la saison avec ce spectacle ?

P.F. : Cette production était prévue cet hiver, mais le covid a contraint au report. Avec une adaptation pour un effectif de percussions, en marge des formats lyriques traditionnels, le collectif Isango Ensemble va puiser dans les racines africaines de ce premier opéra écrit par un noir américain. Mais c’est surtout le projet artistique et pédagogique, avec la participation de jeunes venus des bidonvilles de Cape Town, et le message politique fort porté par l’œuvre, que l’on veut mettre en avant. Treemonisha raconte la sortie de la misère et l’émancipation grâce à l’art, et il y a une concordance parfaite avec l’histoire des interprètes d’Isango. N’oublions pas que Scott Joplin réclamait une distribution entièrement noire. Cette puissance libératrice de la musique est également sous-jacente à la dramaturgie développée par Silva Costa dans Combattimento, au cœur des enjeux écologiques d’aujourd’hui. La beauté et l’émotion à l’opéra doivent aussi susciter la réflexion.

« Il est intéressant de faire venir des personnalités du théâtre à l’opéra.»

Silvia Costa, Guy Cassiers ou Tiago Rodrigues sont des grands noms du théâtre européen d’aujourd’hui : quelle importance donnez-vous au metteur en scène dans votre programmation?

P.F. : Il est intéressant de faire venir des personnalités du théâtre à l’opéra, surtout sur des formes hybrides. Il me semble important de présenter des classiques du répertoire comme Tristan ou Pelléas avec l’approche plus cinématographique du théâtre contemporain, dont la lisibilité et la force sont soulignées par le format panoramique de notre scène. Pour le Jasager/Neinsager, Dorian Rossel fera ses premiers pas dans le genre lyrique, aux côtés de Delphine Lanza. C’est un artiste original qui ne monte jamais de textes de théâtre en tant que tels, mais adapte des films comme Le Voyage à Tokyo d’Ozu, Le Dernier Métro de Truffaut ou des romans, comme Laterna magica de Bergman. Des spectacles que nous avons présentés à Caen.

Quelles actions menez-vous envers la nouvelle génération?

P.F. : À côté de sa participation au diptyque Der Jasager/Der Neinsager, la Maîtrise de Caen propose aux adolescents tout au long de l’année un approfondissement pédagogique avec des chanteurs et des instrumentistes professionnels. Dans le cadre du compagnonnage avec des ensembles baroques, nous soutenons les débuts de certains artistes lyriques. Associé à l’Orchestre Les Siècles et chef principal du Conservatoire de Caen, Nicolas Simon dirigera avec Pelléas une de ses premières grandes productions d’opéra.

Ouverture européenne et ancrage territorial : quels sont les principaux traits de cette autre face de la personnalité hybride du théâtre de Caen ?

P.F. : Avec une sorte de famille de théâtres français et européens sans masse artistique permanente, nous avons noué un réseau de coproduction. Au-delà du partenariat avec l’Orchestre Régional de Normandie, qui partage avec nous une tradition d’imaginer une programmation croisant d’autres disciplines, nous mettons en valeur des artistes qui ont fait leurs premières armes au Conservatoire de Caen, tels Cyrille Dubois ou Yoann Moulin, un ancien de la Maîtrise. En plus de la résidence de Correspondances, nous invitons Le Poème harmonique, l’autre ensemble baroque soutenu par la Région Normandie, ainsi que des formations qui y sont basées, comme De Caelis. Le théâtre de Caen est engagé dans la défense des forces artistiques de son territoire.

Propos recueillis par Gilles Charlassier

A propos de l'événement

Patrick Foll développe une aventure artistique nourrie de croisements féconds
Théâtre de Caen.
135 Boulevard Maréchal-Leclerc, 14000 Caen.

Tél : 02 31 30 48 00.

https://theatre.caen.fr

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