La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -302-Théâtre de La Criée : une saison 2022/2023 qui éclaire « l’Autre et son sublime mystère »

Macha Makeïeff reprend sa mise en scène du Tartuffe et signe une saison 2022/2023 en prise avec les réalités du monde.

Macha Makeïeff reprend sa mise en scène du Tartuffe et signe une saison 2022/2023 en prise avec les réalités du monde. - Critique sortie  Marseille La Criée - Théâtre National de Marseille
(© Gérard Julien) : La metteuse en scène Macha Makeïeff, directrice de La Criée de juillet 2011 à juin 2022.

Entretien / Macha Makeïeff

Publié le 16 août 2022 - N° 302

Le public est depuis toujours ce qu’elle appelle son « beau souci ». Pour lui, Macha Makeïeff reprend sa mise en scène du Tartuffe et signe une saison 2022/2023 en prise avec les réalités du monde.

Que retenez-vous d’essentiel des onze saisons que vous venez de passer à la tête de La Criée ?

Macha Makeïeff : Le sentiment d’avoir imaginé et fait vivre, durant toutes ces années, un théâtre pour Marseille et ses habitants. Un théâtre qui s’est métamorphosé plastiquement, que j’ai décalé par rapport au modèle que l’on connaît des centres dramatiques nationaux, notamment en y accueillant d’autres arts. Cela, afin de favoriser l’émergence de publics plus confiants, de publics qui passent facilement d’une discipline à une autre, qui apprécient le théâtre d’une autre façon : en se frottant aussi à la musique, au cirque, à la philosophie, à la danse… C’est ce pas de côté-là qui m’intéressait, cette part d’invention à l’intérieur d’une institution. J’ai imaginé La Criée comme un lieu de décalage et d’expérimentation pour Marseille. J’ai pris beaucoup de plaisir à accompagner quotidiennement des artistes, à écouter leurs projets, leurs émotions.

Quelles sont les choses les plus inattendues que vous avez vécues ?

M.M. : Ma nomination à la direction de La Criée m’a mise dans la position de prendre à bras le corps quelque chose qui n’était pas fait pour moi. Les centres dramatiques nationaux ont été conçus pour des hommes, à une époque où il y avait beaucoup d’argent. Aujourd’hui, nous héritons de grands paquebots qu’il faut réinventer, ce qui est d’ailleurs passionnant. Il y a quelque chose d’inadéquat entre le travail artistique au féminin, la vie d’une femme et ces maisons qui ont un historique assez lourd, un peu féodal, un peu viriliste. Je me suis attachée à féminiser ce lieu, en y faisant entrer les arts plastiques, ou en veillant à ce que les publics soient accueillis différemment. Diriger une institution, quand on est artiste, c’est entrer dans une mécanique politique, dans le vrai sens du terme, c’est-à-dire en s’occupant de la ville. Il faut, dans le même temps, veiller à garder une totale autonomie, à n’entrer dans aucun processus d’influence, de pression. Il faut, même, jouer des hautes solitudes. Je crois vraiment que s’il y a un intérêt à nommer des artistes à la tête des théâtres, idée qui m’est chère, c’est pour leur indépendance d’esprit.

« Le théâtre est là pour lutter contre le totalitarisme. »

Comment avez-vous pensé cette programmation 2022/2023 ?

M.M. : Imaginer cette dernière programmation a été quelque chose d’assez difficile car, du fait de mon départ, il m’a fallu mettre un frein à toutes les idées que j’avais encore pour La Criée. Cette dernière saison n’est pas la grande saison flamboyante que j’aurais pu faire avant de partir. J’ai tenu à ce que mon successeur dispose d’un théâtre parfaitement à l’équilibre. J’ai donc limité mes désirs, ce qui a été cruel, car il y a beaucoup d’artistes que j’admire et que j’aurais aimé inviter. Cette programmation est traversée de regards sur le monde d’une grande lucidité. Ces créations nous parviennent à un moment où la planète est secouée par des conflits, où l’art et la littérature dramatique nous éclairent de manière essentielle, donnant corps à plus d’intelligence que les réalités souvent abjectes auxquelles nous sommes confrontés.

Vous avez intitulé cette nouvelle saison L’Autre et son sublime mystère

M.M. : Oui, l’autre est à la fois un mystère, une inquiétude et une joie. L’autre, c’est l’artiste qui nous parle, la personne qui est à côté de nous dans la salle, celle qui est sur scène, celle qui passe devant le théâtre sans encore oser entrer… Dans une époque où l’autre est aussi celui sur lequel on mitraille, il m’a semblé capital de donner à voir et entendre cette interrogation dans toute sa richesse. Le théâtre est là pour lutter contre le totalitarisme, qui nie la singularité et les ambivalences de l’individu. C’est quelque chose qui me préoccupe beaucoup. A partir du moment où le mystère humain n’existe plus, la pensée s’exprime de façon sommaire et écrasante, comme la pensée de l’extrême droite.

Vous reprenez votre mise en scène du Tartuffe. Que représente pour vous ce spectacle ?

M.M. : Je crois beaucoup à l’idée de répertoire. Je pense que la durée de vie d’un spectacle est quelque chose d’organique, qui s’impose à nous. Un an après sa création, Le Tartuffe est un spectacle encore extrêmement vibrant et, je crois, de plus en plus riche. L’enthousiasme qu’il a suscité est pour moi plus que précieux. J’ai conçu une représentation qui propose l’intelligence du texte aux spectatrices et spectateurs, tout en investissant ses dimensions sensibles. Même si on n’a pas l’habitude d’écouter des alexandrins, la part plastique du théâtre existe. En investissant ce sensible-là, on ne laisse personne sur le côté.

 

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Tartuffe
du jeudi 1 décembre 2022 au samedi 17 décembre 2022
La Criée - Théâtre National de Marseille
30 quai de Rive Neuve, 13007 Marseille.

Tél. 04 91 54 70 54.

www.theatre-lacriee.com

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