L’opéra, un art total

Quelle est votre vision du Théâtre de Caen ?

Patrick Foll : Nous sommes à la fois une maison d’opéra et une scène pluridisciplinaire : théâtre, concerts ouverts sur tous les répertoires (de la chanson à la musique contemporaine), danse, nouveau cirque…  Ce qui pourrait être dans l’ADN de tous les opéras. Car l’opéra, c’est l’art total. Notre autre spécificité est un positionnement original sur la question des ensembles spécialisés.  Nous n’avons pas d’orchestre attaché au théâtre. Cela nous donne cette liberté d’accueillir des ensembles spécialisés. Aujourd’hui ces ensembles s’intéressent à toutes les époques et non pas uniquement au baroque. Et il y a toute une génération de jeunes chefs et ensembles en train d’ouvrir de nouvelles pages magnifiques… La musique est une seule histoire mais cette histoire doit être racontée par des interprètes qui font un travail spécifique de recherche et de redécouverte. Nous sommes là pour les accompagner.

On pense forcément à Sébastien Daucé et à son ensemble Correspondances…

Patrick Foll : Leur atterrissage en 2016 au Théâtre de Caen a été réussi car l’ensemble a connu depuis un développement encore plus important. Ma fierté est qu’on leur a permis de vivre leurs premières aventures scéniques. D’abord les Histoires sacrées, autour de 3 oratorios de Charpentier. Puis l’aventure extraordinaire du Ballet royal de la nuit. Ce n’est pas un hasard que ce spectacle soit né chez nous : nous avons la capacité de lancer ce genre de pari autour d’un projet original, grâce à des compagnonnages très forts.

Cette rencontre avec Daucé est une affaire de choix résolu d’un ensemble alors peu connu…

Patrick Foll : C’est la force de la part de liberté que l’on a encore à Caen. Je revendique en effet des choix, avec tel ou tel artiste pour mener à bien tel ou tel projet. Je crois que si le public vient si nombreux dans ce théâtre – nous avons vendu 110000 billets en 2018 – c’est parce qu’il reconnaît ce désir de création et de partage. Le public sait qu’on lui propose une aventure, une histoire…

« Le public sait qu’on lui propose une aventure, une histoire… »

Comment avez-vous créé ce lien si fort avec le public de Caen et de sa région ?

Patrick Foll : La dimension humaine est très importante : notre mission première est de faire en sorte que le public rencontre des artistes. Il faut pour cela asseoir des fidélités dans le temps, afin que la fidélité du public se renforce. Un théâtre doit être une maison qui a deux portes, également importantes : l’entrée du public et l’entrée des artistes. Notre rôle est de rassembler ces deux communautés. La magie d’une représentation, c’est cette fusion, cette relation nouée entre les deux parties de la salle. Une des autres clés est mon ancienneté dans ce mandat de directeur du théâtre de Caen. C’est ma 18ème saison. Cela permet à la fois d’avoir installé une relation de confiance et de proposer des choses complètement nouvelles…

Dans ce registre, la grande surprise de cette saison sera Coronis. Un ovni ?

Patrick Foll : Oui ! Car qui connaît la musique profane et les zarzuelas de Duron ? Franchement, même en Espagne… quasi personne ! Coronis est l’une des premières zarzuelas, ce genre propre à l’Espagne, qui existe toujours aujourd’hui, et qui puise ses racines dans le 17è siècle. Coronis date de cette époque. C’est la première fois que l’on va créer en France une zarzuela baroque en version scénique. Ce qui m’intéresse dans cette musique, c’est ce langage affiché entre tragique et comique. J’ai pensé tout de suite à Vincent Dumestre, qui a une connaissance extraordinaire de cette musique espagnole du Siècle d’Or, et au metteur en scène Omar Porras. C’est le binôme parfait pour relever ce pari. Omar Porras n’a jamais fait d’opéra dans sa langue natale…

Propos recueillis par Jean-Luc Caradec