Le Quai des oubliés
Le Théâtre Dromesko invente une nouvelle [...]
Focus -202-La Comédie de l’Est
Pauline Ringeade met en scène la dernière pièce de Boris Vian, qui allie cocasse, absurde et cruauté, et raconte la cohabitation d’une famille avec celui qu’elle maltraite : Le Schmürz.
Pourquoi avez-vous décidé de porter cette pièce à la scène ?
Pauline Ringeade : Le choix de ce texte s’inscrit pour moi dans la continuité d’une recherche s’intéressant aux comportements humains, à ce qu’ils trahissent des mécanismes fous de l’inconscient lorsque l’intime et le social sont en conflit. La pièce fut écrite en 1957, en pleine guerre d’Algérie : je m’intéresse à ce qu’un tel contexte politique peut imposer, pour interroger nos comportements d’aujourd’hui. La pièce parle d’une absence à soi-même, de l’art de tourner autour du pot, autour de sa propre existence. À quel moment se perd la considération de l’humain qui est à côté de soi ? Est-ce dans cette perte que nous bâtissons nos empires, qu’ils soient individuels ou nationaux ? Faut-il affronter son propre Schmürz pour se construire en conscience ?
Que représente le Schmürz au sein de cette famille ?
P. R. : Le Schmürz est un homme torturé par le père, la mère, la bonne et le voisin, mais pas par la fille. Nous avons choisi d’axer la dramaturgie du spectacle sur la présence de ce « fantôme » dans cette famille. Nous imaginons que le père a participé à la torture dans sa carrière militaire. Cela lui a sûrement permis de gravir les échelons, mais au fond de lui-même, il est traumatisé. Ce qui l’a construit socialement l’a détruit intimement, et cependant si c’était à refaire, il le referait sûrement. Hanté par cet événement, il tente de cohabiter avec ce fantôme. Sa fille est malmenée par ce secret innommable, et dérange avec ses questions. Au fur et à mesure, le père s’isole, son fantôme prend plus de place, et vivre avec d’autres devient insupportable.
Quelle scénographie imaginez-vous ?
P. R. : Un plancher, quatre portes, une volée de marches sans début ni fin. Cet espace est lié à l’espace mental du père, et il diminue par l’action des personnages. Les portes ne s’ouvrent plus, puis disparaissent à mesure que chacun des personnages sort de la pièce, dans les deux sens du terme. Comme si leur altérité offrait des perspectives de pensée, une case mentale supplémentaire. Mais cette altérité est de plus en plus dure à affronter, elle disparaît, laissant le père face à face avec le Schmürz…
Propos recueillis par Agnès Santi
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