Écrire en cinq mots
Propos recueillis
Nathalie Fillion
Publié le 25 octobre 2024 - N° 326
Écrire ce qui manque « J’ai d’abord été actrice. Puis je me suis mise à écrire, avec insouciance, le théâtre qui […]
Écrire ce qui manque
« J’ai d’abord été actrice. Puis je me suis mise à écrire, avec insouciance, le théâtre qui me manquait, celui que j’avais envie de voir, un théâtre de l’interaction, où on se parle même si on ne s’entend pas, avec des personnages, des rôles, un théâtre où ça joue ! J’avais soif d’humour et de légèreté, que je n’oppose pas à la profondeur. Ma première pièce, Pauvre Télémaque ou pas facile d’être le fils d’Ulysse, m’a permis d’obtenir une bourse du C.N.L. et m’a ouvert les portes de la Chartreuse, où j’ai écrit Alex Legrand, joué une centaine de fois en tournée.
Écrire en liberté
J’ai alors passé un pacte avec moi-même : celui de prendre toutes les libertés. Il y a plein de théâtres, plein de formes que j’aime. Dans Alex Legrand, alternent la farce, le tragique, le quotidien, une prose explosée, des alexandrins. Cette pièce, qui est pour moi comme le tableau du peintre qu’il ne vendra jamais, est faite de tout ce que je suis, dans une sorte de baroque contemporain. Mon écriture tient depuis à cette liberté.
Écrire et mettre en scène
Avec Alex Legrand, je n’étais pas sûre que la mise en scène m’intéresserait. C’était un essai. Mais j’ai rencontré des acteurs extraordinaires que j’ai eu un plaisir fou à diriger, et Charlotte Villermet, scénographe avec laquelle le passage au plateau est devenu essentiel. J’ai alors commencé de m’affirmer comme une femme de théâtre, en comprenant que l’écriture n’est pas là pour apporter des solutions à ce que peut le plateau, mais pour lui poser des questions et des défis. J’écris avec l’idée que l’acteur pourra s’appuyer sur le texte pour s’envoler. Rien de plus extraordinaire qu’un acteur en plein jeu, tout à sa puissance d’invention.
Écrire pour changer les représentations
Avec le temps, j’ai mesuré la responsabilité de porter au plateau de nouvelles représentations du monde, de nouvelles figures. J’ai pris conscience de combien le répertoire ne suffisait pas aux femmes d’aujourd’hui. Le théâtre ne peut pas changer le monde mais il peut changer ses représentations. L’important est la rencontre avec les spectateurs d’aujourd’hui. Je suis très perméable aux questions qui traversent la société, même si je me méfie de l’actualité. Par la fable, l’humour, on peut métaboliser les questions, les thématiques, les tensions, les indignations et voir où elles conduisent l’écriture.
Écrire pour mesurer le temps
La question du temps et de nos anachronismes nourrit toutes mes pièces. Présent, passé et futur cohabitent. Le théâtre est un espace-temps et la conscience de ses ressources a plus à voir avec la métaphysique qu’avec la littérature. Voilà pourquoi je n’écris pas tant pour raconter des histoires que pour ausculter le temps dans lequel elles se passent, pour un théâtre de la condition humaine, qui fasse résonner le présent. Cet espace-temps de la représentation permet des choses qu’aucun autre art ne permet : il engage le corps, la vibration, du vivant complexe, les différents temps. Il y a quelque chose d’unique dans cette rencontre entre les limites des corps et l’illimité de l’imaginaire. »
Catherine Robert