La Fin de l’homme rouge
Emmanuel Meirieu, dont le talent se confirme [...]
Focus -269-Théâtre Les Gémeaux
D’un côté, Louis Laine et Marthe, de l’autre, Thomas Pollock Nageoire et Lechy Elbernon. Entre les deux couples, se joue un échange hasardeux. Christian Schiaretti met en scène la première version de la pièce de Claudel.
« La poésie n’est pas une matière, elle est une infusion. »
Pourquoi choisir cette pièce ?
Christian Schiaretti : Des quatuors à cordes intimistes de Claudel, c’est la mal aimée. Elle n’a pas la renommée et l’évidence du Partage de midi. Elle demeure comme un point obscur dans son œuvre. Là est peut-être la première raison de mon choix : une raison athlétique, comme face à un défi. Mais c’est surtout parce que cette pièce est celle qui exprime le mieux les contradictions de Claudel. D’abord Louis Laine et sa rimbaldienne spiritualité d’essence poétique, qui se concrétise dans l’élan et la fuite. Ensuite Marthe et sa tension spirituelle, celle d’un catholicisme ambigu investi d’une force révoltée. Puis Thomas Pollock, homme d’affaires qui les considère comme une aventure. Enfin Lechy, figure du théâtre avec tout ce qu’il a d’invraisemblable. Ces quatre figures, qui s’opposent entre elles dans la pièce, représentent, ensemble, Claudel lui-même.
Comment s’opposent-elles ?
C. S. : Thomas Pollock et Lechy représentent l’affairisme cynique qui avance avec, à son bras, l’entertainment (Lechy est la comédienne d’un théâtre bourgeois au narcissisme constitutif). En face, la spiritualité irréductible, poétique et confessionnelle. Leur conflit se solde par deux morts : celle de Louis Laine, qui meurt dans sa fuite, mais aussi celle de Lechy, qui s’écroule ivre-morte à la fin, s’endort et ronfle ! Mais rien n’est réglé pour autant : l’irrésolution demeure entre Thomas Pollock et Marthe, entre le pouvoir de l’argent et la spiritualité. Toute la question est de parvenir à rendre ces points de lecture.
Comment ?
C. S. : Je vais essayer de faire un théâtre allégorique, en ancrant les personnages dans leur pérennité et dans celle de la prosodie. Avec, en tête, Procès en séparation de l’Ame et du Corps, pièce de Pedro Calderón de la Barca que j’ai précédemment mise en scène et dans laquelle Péché et Corps s’abîment dans la capture de l’Ame. Quelle est la nature du contrat passé entre Thomas Pollock et Lechy ? Je crois qu’il est un pari lancé pour trouver le moyen de capturer l’âme. Et il n’y a qu’une seule âme véritablement chassée : non pas celle de Marthe, mais celle du poète. C’est la dissymétrie à l’œuvre dans cet échange que je voudrais essayer de montrer. L’Echange est une pièce de l’intime, et plus encore du secret, car rien de plus secret que la radicalité poétique. Est-elle l’objet d’un achat possible ? La poésie (et ce que j’en dis vaut plus généralement pour la culture), n’est pas une matière, elle est une infusion. Dans notre monde où tout semble se réduire à des catégories marchandes, il reste de l’imprenable, pour peu qu’on soit dans un irréductible spirituel et poétique.
Propos recueillis par Catherine Robert
Tél : 01 46 61 36 67. www.lesgemeaux.com
Emmanuel Meirieu, dont le talent se confirme [...]