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Focus -274-Théâtre national de Nice

Lear, genèse d’un traumatisme par Renato Giuliani

Lear, genèse d’un traumatisme par Renato Giuliani - Critique sortie Théâtre Nice Théâtre National de Nice
Renato Giuliani © Gaëlle Simon

Théâtre national de Nice / d’après Shakespeare / mes Renato Giuliani
Entretien / Renato Giuliani

Publié le 19 février 2019 - N° 274

Pour sa nouvelle création, Renato Giuliani adapte Le Roi Lear avec seulement trois comédiens : lui, sa fille Stella et un jeune acteur malentendant, Karim El-Andari. Une version intimiste qui souligne l’humanité des personnages.

Qu’est-ce qui vous attire particulièrement dans cette pièce de Shakespeare ?

Renato Giuliani : Plusieurs éléments dont l’un est la transmission. Lear renonce à son royaume pour le donner à ses filles. Ce faisant, il a une attitude un peu hystérique puisqu’il déshérite Cordélia, celle qui est la plus gentille et la plus aimante (malgré les apparences). Cette folie précédant celle qui arrivera plus tard dans la pièce constitue un autre élément motivant. Enfin, certains traits sont autobiographiques : je suis la fille gentille !

Vous jouez avec votre propre fille, Stella Giuliani. Cela apporte-t-il une vérité supplémentaire ?

R. G. : Elle interprètera Cordélia et les autres sœurs ainsi qu’Edmond. Jouer ensemble, c’est un peu essayer d’approfondir nos liens. Stella est dotée d’une énergie lumineuse très forte. C’est la direction que j’ai voulu donner à mon travail, à ma vie, et je suis très fier qu’elle en fasse partie.

« Il ne s’agit pas de l’histoire d’un roi mais de l’histoire de troubles intimes à l’intérieur d’une conscience. »

On dit souvent que Le Roi Lear est injouable tant la pièce multiplie les intrigues, les points de vue, les personnages, les registres de langue. Est-ce que la resserrer à trois comédiens est une façon de répondre ?

R. G. : Nous gardons le texte de Shakespeare mais en réalisant des coupes. C’est une adaptation qui garde l’intrigue des méchantes sœurs contre leur père et entre elles, et qui préserve l’intrigue entre les deux fils de Gloucester, Edgar et Edmond. Un point très important est la nouvelle traduction signée Marie-Paule Ramo car les versions existantes ne nous satisfaisaient pas. Nous voulions quelque chose de vivant, loin des traductions lisses qu’on trouve souvent.

Pourquoi avoir supprimé du titre le mot « roi » ? Pour insister sur l’intimité des personnages ?

R. G. : Pour moi, il ne s’agit pas de l’histoire d’un roi mais de l’histoire de troubles intimes à l’intérieur d’une conscience de père. Cela vaut aussi pour Gloucester. Ce qui m’intéresse est de marquer plutôt l’aspect des liens familiaux, d’embarquer les personnages vers une dimension plus humaine, alors que le terme de « roi » mène un peu vers le conte de fées : « il était une fois un roi… ».

Qui est Lear ? Un homme aveugle ? un égocentrique ? un fou ?

R. G. : Au début, c’est un puissant qui s’est construit un personnage de dur-à-cuire. Sa réaction vis-à-vis de Cordélia vient de ce qu’il se sent trahi dans ses attentes : il pensait qu’elle, sa fille préférée, se serait lancée dans un dithyrambe, et la déception qu’il en éprouve est si forte qu’elle l’aveugle et le conduit à un accès de colère. Lear est dominé par les passions et il est tellement nombriliste que même en présence de Kent ou du Fou, il ne veut pas admettre qu’il s’est trompé. Tous ces éléments émotifs sont encore bousculés quand il se rend compte que ses filles aînées sont totalement hypocrites et l’ont trahi sous une fausse gentillesse. Il se sent alors réellement dépossédé : il avait laissé son royaume mais pas sa dignité de roi. Cela le fait basculer dans un désarroi qui l’amène presque à la folie. Pas au sens psychiatrique du terme mais dans le sens d’un traumatisme fort. Le seul qui lui reste fidèle jusqu’au bout est le Fou. Il sera interprété par Karim El-Andari, un jeune acteur malentendant qui a un génie du mouvement, et qui jouera aussi le rôle d’Edgar. C’est pourquoi environ 60% de la pièce sera en langue des signes.

La pièce de Shakespeare est une tragédie mais y voyez-vous malgré tout un espoir ?

R. G. : Oui, elle comporte un côté positif. Connaissez-vous ce conte zen ? Un homme marche dans un champ. Surpris par un tigre, il se sauve et arrive dans un ravin en bas duquel l’attend un autre tigre. L’homme s’accroche à la racine d’une vigne sauvage quand apparaissent deux souris dont l’une commence à ronger la branche. Apercevant une fraise, l’homme la prend et la savoure. Dans le moment final où Lear retrouve Cordélia, il retrouve le lien d’amour total qu’il avait avec sa fille. Ce moment-là dure une éternité. Il savoure la fraise. Alors il peut mourir en paix et rejoindre son enfant.

 

Entretien réalisé par Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Lear, genèse d’un traumatisme par Renato Giuliani
du mercredi 3 avril 2019 au samedi 6 avril 2019
Théâtre National de Nice
Centre Dramatique National, Promenade des Arts, 06300 Nice.

Du 3 au 5 avril à 20h30, le 6 avril à 15h30.

Petite salle

 

Théâtre national de Nice,

Centre Dramatique National, Promenade des Arts, 06300 Nice.

Du 23 mars au 13 avril 2019.

Tél : 04 93 13 79 60.

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