Les Larmes amères de Petra von Kant
Découvert par le public de l’Odéon l’an [...]
Focus -212-Odéon ~ Théâtre de l’Europe
Entrelaçant et démultipliant les effets du théâtre et du cinéma, Katie Mitchell met en scène Le Papier peint jaune, nouvelle de Charlotte Perkins Gilman (1860-1935), fiction créée à partir de la dépression post-natale qui a frappée l’auteur.
Comme le montrent ses choix de mises en scène – tels Mademoiselle Julie d’après Strindberg ou Voyage à travers la Nuit d’après Friederike Mayröcker – et son goût pour des auteurs tels que Martin Crimp ou bien entendu la grande Virginia Woolf, c’est, au-delà du langage et des apparences, la pensée qui intéresse Katie Mitchell : la pensée intérieure et en mouvement, l’univers mental nourri d’une multitude d’émotions et de réflexions. Une ambition élevée, et un exercice difficile à mettre en œuvre sur une scène ! Elle utilise pour cela des moyens techniques sophistiqués savamment agencés, et accorde une place prépondérante à la vidéo, aux images captées et projetées. Malgré de récentes traductions, Le Papier peint jaune (1892) de Charlotte Perkins Gilman (1860-1935), écrivain prolifique et l’une des principales militantes de la cause féministe au tournant du XXème siècle, demeure un texte méconnu. Cette nouvelle se fonde sur une dépression post-natale qui a bouleversé l’auteur, et qui a été traitée de façon brutale et grossière par le pouvoir médical et masculin. Toute « stimulation mentale » qui risquerait d’ébranler sa « faible cervelle » de femme lui a été interdite, en conformité avec le repos requis par son affliction.
Tableau d’une douleur
De cette période malheureuse, l’auteure a créé un récit sous forme de journal intime tenu par une jeune mère souffrant de dépression post-partum, que son mari enferme dans une pièce au papier peint jaune à motifs. Le texte introspectif porte aussi une dimension étrange et fantastique suscitée par « l’influence pernicieuse » du papier, dont « le motif pend comme une nuque brisée et où deux yeux bulbeux vous fixent à l’envers ». L’héroïne est ici dédoublée : ses pensées sont énoncées à voix haute par Ursina Lardi ; son corps, ses gestes, ses émotions sont confiés à Judith Engel, qui joue avec la scène et la caméra pour composer « le saisissant tableau d’une douleur ». Outre les carcans qui emprisonnent les femmes, la pièce met en lumière la menace de la folie, la nature de cette souffrance féminine et les contours d’une aliénation cruelle.
Agnès Santi
Découvert par le public de l’Odéon l’an [...]