ENTHOUSIASME ET RÉSISTANCE JOYEUSE
Directeur du théâtre depuis 2004, Laurent Fréchuret compose un diptyque à partir des textes de Hrabal et Copi et ouvre avec cette création la saison d’une maison vivace et enthousiaste, soudée par l’esprit de troupe et d’aventure.
Qui est Bohumil Hrabal, dont vous adaptez Une trop bruyante solitude ?
L. F. : Hrabal est un des plus grands écrivains tchèques. Pendant l’occupation soviétique, il est resté à Prague où il a résisté de l’intérieur en inventant des histoires fantaisistes qu’il collectait dans les bars. Il écrit à ce moment de bascule du monde ancien, à l’époque d’un changement d’échelle de pensée, où apparaissent une pensée unifiée, un système unique et la transformation des ancienne censures en une nouvelle « sensure » (selon ce mot de Bernard Noël désignant la perte de sens), plus pernicieuse que la censure. Hrabal a exercé plein de petits métiers et parmi eux, celui de recycleur de papiers, comme le personnage d’Une trop bruyante solitude, Hanta. Hanta vit depuis trente-cinq ans dans une cave de Prague et avoue ressembler de plus en plus aux rats qui la fréquentent. Il vit avec une presse qui écrase tous ces papiers au milieu desquels il doit passer au pilon les livres interdits. Et l’événement, c’est qu’il se met à les lire. En lui, dialoguent tous les auteurs qu’il lit et, en des visions auxquelles on assiste, toute la connaissance perdue et interdite se fait entendre. C’est à cette résistance joyeuse par l’imagination que nous convie Hrabal.
Pourquoi choisir Copi en deuxième partie ?
L. F. : Copi, autre inventeur de monde et de mots, autre auteur subversif, inventif et joyeux, iconoclaste et gourmand ! Ces deux œuvres sont des œuvres de résistance. Ces deux rats, celui de Bohumil Hrabal et celui de Copi sont des rats peut-être plus humains que l’humain, des rats de fantaisie inventés par deux poètes. Après l’entracte, les spectateurs changent d’espace et entrent dans celui de la pyramide, disposé de manière trifrontale, dans lequel vivent une reine aveugle, sa fille, petite cannibale anémiée, Chrysanthème, un vendeur d’eau homosexuel et peut-être agent secret, et un jésuite. Dans cette bulle oubliée dans le temps, apparaît un rat, « un rat qui parle », une espèce de parvenu douteux qui cherche du pétrole. Copi signe ici une sorte de Labiche moderne à la sauce champignons hallucinogènes !
« Pour moi, le théâtre c’est une histoire de bande, d’équipe. Rien n’est possible sans cet enthousiasme de troupe. »
Comment va le théâtre de Sartrouville ?
L. F. : Nous sommes conscients de l’avenir inquiétant lié aux diminutions de moyens pour les services publics et nous les subissons de plein fouet, mais en même temps, nous sommes très enthousiastes. Nous nous battons sur le terrain depuis sept ans et sommes très heureux de ce qui s’y passe. Quand je suis arrivé en 2004, la mission et le pari étaient d’inventer un véritable centre dramatique, c’est-à-dire une maison et un outil de création. Une nouvelle salle et une salle de répétition vont être construites. Les travaux vont commencer dans neuf mois et finiront dans deux ans. De plus, depuis cette année, des artistes – Nine de Montal, Elya Birman, Philippe Baronnet – habitent la maison en permanence, et ça, c’est essentiel ! Cela permet qu’un répertoire s’invente et cela permet au public (à 90% d’origine locale) de mettre des têtes sur les figures des artistes grâce à ces ambassadeurs de terrain motivés, déterminés et talentueux.
Cette année, vous inaugurez le quatrième chantier théâtral. Sous quel mode ?
L. F. : Cette année, j’invite trois artistes à être à ma suite chefs de chantier. Anna Nozière, Laurent Brethome et Kheireddine Lardjam vont travailler toute l’année sur « liberté, égalité, fraternité », jusqu’au triptyque de juin. Ces chantiers amènent des milliers de spectateurs qui ne viennent jamais au théâtre. Ce projet participe à notre mission d’élargir et de renouveler les publics et désormais, il est inscrit dans l’imaginaire collectif de la population.
Et pour le reste ?
L. F. : C’est une année extrêmement chargée. Sartrouville est le premier des trente-trois CDN en terme de diffusion. Odyssées en Yvelines devient une biennale de création tout public. Sept créations vont se répéter en janvier et il y aura trois cents représentations dans soixante-dix villes et villages des Yvelines pendant trois mois. Pour Odyssées comme pour le reste, nous récoltons les fruits d’un travail épuisant mais enthousiaste, pointu et populaire à la fois. Cela permet de lutter joyeusement et d’éviter l’aigreur. A Sartrouville, l’équipe est solidaire et militante. Pour moi, le théâtre c’est une histoire de bande, d’équipe. Rien n’est possible sans cet enthousiasme de troupe. Un CDN, au fond, c’est une troupe élargie !
Propos recueillis par Catherine Robert
Le Diptyque du rat, d’après Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal et La Pyramide de Copi ; adaptation et mise en scène de Laurent Fréchuret. Du 30 septembre au 23 octobre 2010. Odyssées en Yvelines, biennale de création théâtrale. Du 25 janvier au 2 avril 2010. Chantier n°4 ; représentations les 18 et 19 juin 2011.