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"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -316-Le Trident - Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin : de l’urbain au rural, la mission politique des arts vivants

L’art de l’équilibre, rencontre avec Farid Bentaïeb

L’art de l’équilibre, rencontre avec Farid Bentaïeb - Critique sortie  Cherbourg-en-Cotentin Le Trident - Scène nationale Cherbourg-en-Cotentin
(© Baptiste Almodovar) : Farid Bentaïeb, directeur du Trident.

Entretien

Publié le 21 novembre 2023 - N° 316

Pour lui, pas question de privilégier un seul champ artistique ou de s’adresser à une seule catégorie de population. Farid Bentaïeb travaille à faire rayonner Le Trident dans toutes les directions.

Quelle ligne artistique est au cœur de votre projet pour Le Trident ?

Farid Bentaïeb : Située tout au bout du département de la Manche, Cherbourg est la seule grande ville de notre territoire. Notre programmation pluridisciplinaire est donc l’unique accès au spectacle vivant de notre bassin de population. Cette position d’exclusivité nous oblige à concevoir une ligne équilibrée qui comprend à la fois des propositions fédératrices et d’autres plus radicales. En arrivant au Trident, j’ai ressenti la nécessité d’accueillir les grands créateurs de notre époque : Milo Rau, Cyril Teste, Alice Laloy, Josef Nadj, Jean-Claude Gallotta… Ils m’a également semblé nécessaire de rendre compte de tous les champs des arts vivants, y compris des formes marionnettiques et du théâtre d’objets. Et puis, l’une des missions du Trident est de repérer et de soutenir les compagnies régionales : en les coproduisant, en programmant leurs spectacles ou en les accueillant en résidence.

Vous accordez également une grande place à la danse…

F.B. : Oui, chaque saison nous mettons en place un parcours de danse contemporaine composé de sept à neuf pièces, en essayant de dessiner un panorama éclectique des scènes nationale et internationale. Et puis, nous programmons le focus Figure(s) Libre(s) qui vise à mettre en lumière un ou une chorégraphe en présentant plusieurs de ses créations sur une période de quinze jours. Ce focus, qui est aussi l’occasion d’organiser des actions culturelles, permet d’instaurer une forme de complicité entre les publics et l’artiste mis en avant.

Cette année, Figure(s) Libre(s) est consacré à Sylvain Groud. Pourquoi ce choix ?

F.B. : Non seulement j’aime beaucoup son travail chorégraphique, mais aussi son engagement sur les territoires. Son énergie, les relations qu’il établit avec les publics, notamment à Roubaix, me touchent beaucoup (ndlr, Sylvain Groud dirige le Ballet du Nord). J’aime aussi sa façon de mêler différents arts à la danse. Il travaille régulièrement avec des musiciens, des écrivains, des comédiens…

Votre volonté de présenter un paysage pluriel de la danse vaut-elle aussi pour le théâtre ?

F.B. : Non. En ce qui concerne le théâtre, nous défendons avant tout des écritures contemporaines. Et quand il nous arrive de présenter une pièce classique, nous tenons à ce que la mise en scène éclaire le monde d’aujourd’hui à travers un geste de réinvention. Comme je l’ai dit, parmi ces écritures vivantes, nous présentons chaque saison une ou deux propositions assez radicales. Il arrive que ces spectacles ne fassent pas l’unanimité. Mais il me semble nécessaire de confronter nos publics à des univers d’une grande puissance esthétique ou politique. Ceci afin que nos spectatrices et spectateurs ne s’enferment pas dans une logique consommatrice de divertissements, qu’ils et qu’elles puissent aussi être bousculés, déplacés…

« En tant que directeur du Trident, je me situe à l’exact point de rencontre entre les artistes et les publics. »

Et en ce qui concerne la musique ?

F.B. : Nous développons deux axes. Le premier concerne la musique classique, pour laquelle nous travaillons dans le cadre de La Belle Saison, un programme itinérant de musique de chambre (ndlr, initié par le Théâtre des Bouffes du Nord) qui amène de larges publics à découvrir des compositeurs ou des œuvres méconnus. Le second axe concerne la musique contemporaine. Durant deux saisons, le compositeur Régis Huby a été notre artiste associé. Sa résidence nous a permis de vérifier que lorsque la musique contemporaine est présentée de façon ouverte, généreuse, elle est totalement accessible au plus grand nombre.

L’auteur et metteur en scène Thomas Quillardet est lui aussi, depuis plusieurs années, artiste associé au Trident…

F.B. : C’est un artiste dont j’apprécie énormément le travail. Un peu comme Sylvain Groud, j’aime sa simplicité, sa relation très évidente aux spectatrices et spectateurs. J’aime aussi beaucoup son imaginaire. Il a la capacité de passer d’un sujet à un autre avec beaucoup de facilité. Quand je suis arrivé à Cherbourg, c’était pour moi une évidence de l’associer à mon projet.

Comment envisagez-vous les relations du Trident avec les artistes et les publics ?

F.B. : En tant que directeur du Trident, je me situe à l’exact point de rencontre entre les artistes et les publics. Mon travail est de faire se rencontrer des créations — et les artistes qui les ont conçues — avec les spectatrices et spectateurs. Diriger une scène nationale comme le Trident, avec des zones urbaines et rurales, c’est vraiment faire de l’action politique, de l’aménagement du territoire. Il nous faut aller à la rencontre de tous les publics. Des passionnés de théâtre, bien sûr, mais aussi des personnes éloignées de la culture. Pour cela, nous avons initié une politique tarifaire liée au quotient familial. Nous avons également mis en place des billets à deux euros pour des personnes au bord de l’exclusion sociale. Si nous mettons en place toutes ces actions, ce n’est pas pour avoir l’impression d’être des gens bien, mais pour accomplir la mission politique qui est la nôtre. Ce travail-là est passionnant.

 

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Le Trident - Scène nationale Cherbourg-en-Cotentin
Place Général de Gaulle, 50100 Cherbourg-en-Cotentin.

Tél. : 02 33 88 55 55.

www.trident-scenenationale.com

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