La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -247-Les Gémeaux à Sceaux / saison 2016/2017

Hamlet ou l’impossible révolte

Hamlet ou l’impossible révolte - Critique sortie Théâtre Sceaux Les Gémeaux - Scène Nationale
© Arno Declair Légende photo : Epoustouflant Lars Eidinger dans le rôle d’Hamlet.

Théâtre / De William Shakespeare / traduction Marius von Mayenburg / mes Thomas Ostermeier
Critique

Publié le 26 septembre 2016 - N° 247

Reprise exceptionnelle de la mise en scène créée au Festival d’Avignon en 2008, qui nous plonge dans un monde de manipulations, frustrations et passions. Avec six comédiens au cordeau, dont le phénoménal Lars Eidinger, Thomas Ostermeier explore les enjeux de la révolte inaboutie du jeune Hamlet, au cœur d’un monde corrompu.

« Ils sont vivants, les morts couchés sous la terre » dit Sophocle. Au théâtre ils font souvent entendre leur voix douce et écrasante dans le monde des vivants. Le jeune Hamlet, traumatisé par le spectre de son père assassiné, en sait quelque chose. La scène inaugurale, très belle, sous une pluie fine, montre l’enterrement du père, roi du Danemark, dans une veine burlesque qui moque le tragique rituel et rappelle, en flirtant avec le cinéma, l’incongruité qui caractérise le nouveau pouvoir. Le texte, amputé presque de moitié, est traduit en allemand par le dramaturge Marius von Mayenburg. Comme pour mieux souligner la fragile frontière entre illusion et vérité, et entre raison et folie – un enjeu théâtral de tous les instants, particulièrement dans cette pièce matrice ! -, six acteurs interprètent une vingtaine de rôles. La même excellente comédienne, Judith Rosmair, joue Gertrude et Ophélie. Thomas Ostermeier a choisi de jouer la pièce sur la terre où gisent les corps des générations précédentes, reliant de façon indissociable la mort et la vie, et montrant que les pères et les pères des pères demeurent liés aux nouvelles pousses, qui doivent lutter pour se libérer de leur emprise, et construire une forme d’indépendance. Dans un royaume déboussolé, le lien entre les générations génère d’insolubles problèmes et des crises aiguës. La terre omniprésente qui rappelle à chacun sa mortalité parfois macule les corps et les visages, s’engouffre dans les bouches,  exprime la douloureuse difficulté de trouver sa place dans un monde barbare et décadent de fin de régime. Comme symptôme alarmant de cette déliquescence, une famille pervertie et hypocrite : Claudius, un oncle d’une élégance inquiétante et glacée qui a pris la place du père, et Gertrude, une mère puissante, sexy et manipulatrice.

Un bouffon ventru et désespéré, inadapté au monde

Une table de banquet délimite le fond de la scène, symbole ironique où trône un pouvoir immature, où l’on célèbre prestement après l’enterrement le mariage de Claudius et Gertrude. Sur un rideau frangé, accessoire de théâtre par excellence, idéal pour espionner et comploter, les visages sont projetés en gros plan. Cette projection et l’utilisation des micros exposent les confessions des protagonistes en une prise de parole publique, avec témoins.  L’usage de la vidéo expose aussi l’incapacité d’Hamlet à agir, trop occupé à une observation assidue voire quasi obsessionnelle du monde. Dans toutes ses mises en scène, Thomas Ostermeier fait résonner fortement les textes dans l’actualité de notre monde. Ici il concentre sa lecture sur la révolte ratée de la jeunesse contre des aînés puissants. Pour lutter contre cette génération destructrice, Hamlet joue la folie et devient fou à son tour, ce qui mène au triste sacrifice d’Ophélie. Lors d’une très belle scène, émouvante et tragique, elle meurt littéralement étouffée par cette société effrayante. Le metteur en scène dépeint Hamlet comme un bouffon ventru et désespéré, inadapté au monde. C’est d’abord la colère mal dirigée de ce fils rebelle, faisant lui aussi partie du monde décadent qu’il critique, que la mise en scène dissèque avec un talent percutant. Cette lecture radicale et énergique, emplie de bruit, de fureur et de sang, théâtralise avec vigueur les effets dévastateurs et meurtriers d’une société pourrie, et réduit la profondeur métaphysique du drame de Shakespeare. Elle exacerbe les relations conflictuelles, et surexpose la vaine révolte du jeune Hamlet, qui s’y prend très mal pour jouer les justiciers. L’analyse hautement concentrée montre combien la question de la jeunesse touche Thomas Ostermeier. De façon troublante, huit ans après sa création, ce sujet d’une jeune génération désemparée qui rêve de révolte est manifestement d’une brûlante actualité ! L’un des atouts majeurs de la pièce est comme à l’accoutumée chez ce si talentueux metteur en scène la limpidité du jeu théâtral. Un immense bravo à l’exceptionnel acteur Lars Eidinger dans le rôle d’Hamlet – il fut aussi un phénoménal Richard III dans la remarquable mise en scène présentée par Thomas Ostermeier au Festival d’Avignon en 2015. A réserver d’urgence !
Agnès Santi

A propos de l'événement

Hamlet ou l’impossible révolte
du jeudi 19 janvier 2017 au dimanche 29 janvier 2017
Les Gémeaux - Scène Nationale
49 Avenue Georges Clemenceau, 92330 Sceaux, France

Spectacle en allemand surtitré. Spectacle vu au Festival d’Avignon en 2008.

Du mardi au samedi à 20h45, le dimanche à 17h. Tél : 01 46 61 36 67. www.lesgemeaux.com

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