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Gintaras Varnas

Gintaras Varnas - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 octobre 2007

Crime et Châtiment : un cheminement existentiel et spirituel

Directeur artistique du théâtre national de Kaunas en Lituanie depuis 2004, Gintaras Varnas adapte et met en scène Crime et Châtiment, qui explore l’itinéraire complexe de Raskolnikov, jeune homme meurtrier et torturé, où peu à peu la confrontation fantasmée au réel se mue en un cheminement initiatique.

 Quelle est votre conception du théâtre ?

J’aime les formes différentes, le Political Puppet Theatre, les oeuvres classiques, la dramaturgie contemporaine et l’opéra. Le théâtre doit toucher le coeur du spectateur. Ce n’est pas un amusement, c’est une science émotionnelle, psycho-analytique ou spirituelle, qui peut être aussi en même temps un exercice de thérapie de la cruauté, entre tristesse existentielle et nostalgie. Seize acteurs, composant une troupe forte, permanents ou artistes invités, interprètent Crime et Châtiment. Les femmes mortes assassinées par Raskolnikov, représentées par deux grandes poupées, regardent l’histoire comme si elles étaient au cinéma, dans la grande salle des spectateurs.

Pourquoi avez-vous choisi Crime et Châtiment ? Comment avez-vous procédé pour l’adaptation à la scène ?

En premier lieu, la prose de Dostoïevski est très théâtrale, profonde et existentielle. L’homme qu’il décrit, toujours ambivalent, compliqué et torturé, est avant tout une personne qui est en recherche. Crime et Châtiment traverse plusieurs thèmes, notamment le bien et le mal, l’action et la récompense, la grandeur et la petitesse, le surhomme et l’homme. Deux principes essentiels ont prévalu pour l’adaptation du roman. D’abord, la logique de composition de la pièce est dictée par l’état de Raskolnikov avant et après le meurtre, c’est une transe bizarre entre le rêve et la réalité, comme si le monde réel et le déroulement de sa vie étaient un rêve, comme s’il n’était pas en cause dans les événements. Ses visions sont celles d’un malade. Raskolnikov est tellement émotionnellement touché, il souffre tellement qu’il n’arrive pas à s’ouvrir à la réalité. La phrase la plus importante du texte, de laquelle je pars pour composer la pièce, est une réflexion de Raskolnikov : “ il me semble que tout ce qui se passe autour se passe dans mon imagination.” C’est une phrase clé, désignant un périple intérieur où tout s’enchevêtre, où le réel se lit à travers la perception de ce jeune homme. Ensuite, lorsque nous avons travaillé la traduction lituanienne, nous avons voulu actualiser le texte, éviter les tournures habituelles du dix-neuvième siècle, les mots désuets, pour que le langage soit celui de nos jours.

« Au début c’est moi et le monde des petites bêtes, des puces. A la fin c’est moi dans le monde, avec Dieu. »

Quelle est votre vision de Raskolnikov, le  personnage central ?  Traverse-t-il une succession d’épreuves comme une sorte de rite initiatique ?

 

La pièce raconte effectivement le voyage initiatique d’un jeune homme qui devient un homme, en plusieurs étapes. Le fait qu’il soit jeune est très important. Ce génie extraordinaire perd ses illusions, et un homme tout à fait ordinaire naît. Au début c’est moi et le monde des petites bêtes, des puces. A la fin c’est moi dans le monde, avec Dieu. Au début il affiche des ambitions monstrueuses, il veut être Napoléon, mais après avoir commis les meurtres de la vieille prêteuse sur gage et de sa soeur cadette, il souffre. Sa souffrance n’advient pas parce qu’il a tué, mais parce qu’il n’a pas tué comme il le fallait, comme il le voulait. Son plan initial n’a pas réussi. Il a été petit, maladroit, sensible et faible, et il comprend qu’il est le même que les autres. Il en perd presque l’esprit, puis éprouve du mépris pour lui-même et pour tout le monde, il essaie de se suicider, puis finalement au bagne arrive la véritable rédemption, la rencontre avec Dieu. Le thème de Dieu est aussi très lié à la figure de Sonia, dont Raskolnikov tombe amoureux. A la fin il éprouve cette émotion profonde qui sort de lui comme un chant, comme un repentir. Il ne se repentit pas pour ce qu’il a fait avant la fin du spectacle, c’est pourquoi je pense qu’il est essentiel de conserver l’épilogue dans l’adaptation.

Quel comédien va incarner cet extraordinaire personnage ?

Raskolnikov est jeune, ambitieux, proche de la folie et de la cruauté, ses pensées et ses émotions s’entremêlent, pétries d’horreur, de haine pour soi-même, de ténèbres. Le rôle de Raskolnikov, à la trajectoire complexe, est encore plus difficile que celui de Hamlet. Gytis Ivanauskas, charismatique et sensible, enfantin et profond, interprète Raskolnikov, il avait 23 ans lors de la création du spectacle en 2004. Il possède un charisme indéniable et toute cette amplitude de contradictions et d’émotions que nécessite le rôle. Dans son jeu, le spectateur perçoit aussi une certaine ironie, une distance entre l’acteur et le personnage, qui met en perspective la jeunesse de l’étudiant. En France, il a déjà été vu dans les spectacles d’Oskaras Korsunovas, Visage de feu de Marius von Mayenburg ou Romeo et Juliette de Shakespeare. Il a aussi joué dans Le Pays lointain de Jean-Luc Lagarce et Le Phare, monologue de Timothée de Fombelle, deux pièces que j’ai mises en scène.

On associe souvent la volonté criminelle de Raskolnikov à la conception du “surhomme” de Nietzsche. Qu’en pensez-vous ? Comment se définissent le bien et le mal dans la pièce ? 

Raskolnikov est bien sûr proche du surhomme de Nietzsche, il croit être un homme exceptionnel, il a même écrit des théories sur deux races d’hommes, dont ceux extraordinaires qui comptent énormément pour le progrès de l’humanité. Dostoïevski était aussi influencé par les idées révolutionnaires industrielles du XIXe siècle. Aujourd’hui je vois Raskolnikov sous un angle un peu différent. Le roman déploie une multitude de thèmes polyphoniques, mettant en jeu le bien et le mal, qui se mélangent. C’est très souvent difficile d’arriver à reconnaître où est le bien. Le parcours de Raskolnikov est une voie très douloureuse, sanglante et dure, vers l’humanité et vers Dieu.


Propos recueillis par Agnès Santi


Remerciements à Ina Pukelyte

Crime et Châtiment d’après Fiodor Dostoïevski, adaptation et mise en scène Gintaras Varnas, du 23 novembre au 2 décembre 2007. 

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