La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -196-THEATRE D’IVRY-ANTOINE VITEZ

GEORGES MOMBOYE

GEORGES MOMBOYE - Critique sortie Danse

Publié le 10 mars 2012

ALORS QU’IL S’APPRETE A ENTAMER LES REPETITIONS POUR SA NOUVELLE CREATION, GEORGES MOMBOYE NOUS PARLE DE SON PROJET ET DES SOUVENIRS QUI L’ANIMENT.

« Les hommes passent mais l’essentiel, la beauté, le rêve, l’imagination, resteront. » Georges Momboye

D’où vient le titre – savoureux ! – de Poulet Bicyclette ?
Georges Momboye : C’est une expression que l’on entend souvent en Afrique : en Côte d’Ivoire où je suis né, mais aussi au Niger par exemple, on appelle ainsi les poulets qui vivent en liberté. Ce sont les meilleurs poulets : ils se nourrissent dans la nature, ils sont secs, rien à voir avec ces poulets bourgeois dont la chair s’effondre dans votre bouche… Mais bien sûr, un poulet bicyclette est aussi un poulet qui est constamment poursuivi, traqué, justement parce qu’on veut le manger ! Il développe une vraie technique pour échapper aux assaillants. Il « pédale », d’où son nom… J’ai ainsi de nombreux souvenirs d’enfance, que je voudrais raconter dans cette pièce. Des pièges auxquels mon père conduisait le poulet avec des grains de riz (jusqu’à ce que le poulet comprenne et ruse à son tour) ; de longs conciliabules et des plans pour attraper le poulet (« tu vas à gauche, moi à droite… ») ; des approches en douceur pour l’amadouer, ou encore des « statues » : si vous vous figez pendant quinze minutes, le poulet finit par penser que vous êtes un tronc d’arbre, il ne se méfie plus. Cela m’amènera à travailler sur des jeux de masques, de séduction… Je veux aussi, pour cette nouvelle pièce, faire un pas vers l’art du cirque : l’Afrique a une grande histoire avec le cirque et la virtuosité des circassiens. Les anciens ballets africains étaient incroyablement spectaculaires, acrobatiques. Dans Poulet Bicyclette, il y aura notamment un monocycle. Il sera manié par un voyageur, qui observera, qui se mêlera aux autres, qui proposera de nouvelles techniques et de nouvelles découvertes, qui jonglera sur son monocycle… Derrière le titre de cette pièce, il y a aussi le rappel que le premier véhicule, en Afrique, a été le vélo !

Vous décrivez une Côte d’Ivoire vive et pittoresque… L’actualité nous en a livré une image infiniment plus violente au cours des derniers mois. Y retournez-vous souvent ? Comment les artistes ivoiriens travaillent-ils dans un tel contexte ?
G. M. : J’ai évidemment été meurtri par les affrontements au sein du pays, dont les leaders veulent s’approprier la richesse économique et culturelle, et par ces gens qui, dans leur appartenance aveugle à un parti, se sont déchirés – alors que nous sommes tous dans le même bateau et que nous ne pourrons régler les problèmes de la Côte d’Ivoire qu’ensemble. Récemment, je suis allé à l’INSAAC (Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle), à Abidjan, où j’ai vu les travaux que les jeunes artistes ont peints pendant la guerre civile, alors qu’ils étaient enfermés dans l’école. Devant ces tableaux, d’une noirceur totale, j’ai été choqué – et, simultanément, admiratif. C’était magnifiquement noir. Tout bouillait en ces jeunes gens. Les hommes passent mais l’essentiel, la beauté, le rêve, l’imagination, resteront. Je m’enrichis à chaque fois que je vais en Afrique : je n’en avais pas conscience quand j’y vivais, mais après quinze ans en Amérique et en Europe, je vois combien l’Afrique bouge, va toujours de l’avant, et j’ai confiance. Ce que j’essaie de combattre, notamment depuis que j’ai été nommé directeur du Ballet national de Côte d’Ivoire, c’est l’erreur qui consiste à ne voir la culture que comme un moyen de calmer le peuple. Je défends l’idée d’une vraie politique pour la culture : dans l’histoire de la France par exemple, les créateurs ont été de vrais moteurs du développement.

Vous annoncez que votre pièce s’adresse aux spectateurs « de 6 à 106 ans ». Qu’est-ce, pour vous, qu’une pièce jeune public ?
G. M. : A mes yeux, tous les spectacles sont « jeune public »… D’abord parce que le créateur est un enfant, c’est-à-dire celui qui s’essaie à tout. Et aussi parce que je reste certain qu’il y a toujours un enfant caché sous les adultes. Dans Poulet Bicyclette, le rapport aux animaux est important – et les enfants sont attirés par les animaux, comme ils le sont par les masques. J’imagine ce spectacle comme si je racontais à un enfant ce que j’ai vécu moi-même quand j’étais petit, avec des formes abstraites, des formes visuelles… Je pense profondément qu’un spectacle s’adresse à tous, selon le regard que l’on porte sur lui.

Propos recueillis par Marie Chavanieux

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