La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -259-INA COLLECTION DE DVD « FILMS DE THEATRE »

Filmer le théâtre : la quadrature du cercle

Filmer le théâtre : la quadrature du cercle - Critique sortie Théâtre
© D.R.

ENTRETIEN / BENOIT JACQUOT

Publié le 24 octobre 2017 - N° 259

Dans les années 80-90, Benoît Jacquot tourne trois téléfilms de théâtre pour l’INA. Les deux premiers, Elvire Jouvet 40 et La Bête dans la Jungle, sont aujourd’hui accessibles en DVD dans la collection « Films de théâtre ». Deux films marquants grâce auxquels le futur réalisateur des Adieux à la reine apporte une contribution essentielle à la réflexion sur les rapports entre théâtre et cinéma.

Depuis les débuts de la télévision, on s’interroge sur la façon de filmer le théâtre. Comment avez-vous abordé votre première expérience en la matière ?

Benoît Jacquot : Dans les années 80, Claude Guizard, amateur averti de théâtre, dirigeait les programmes de création et de recherche de l’INA et avait demandé à un certain nombre de cinéastes qu’il connaissait de filmer le théâtre pour la télévision à rebours des conventions poussiéreuses en cours à l’époque. Comment filmer le théâtre ? C’est une vraie quadrature du cercle. En tant que cinéaste, le théâtre m’apparaissait comme un objet répulsif. Dans le même temps, mon amie Brigitte Jaques préparait Elvire Jouvet 40. Par amitié, je suis allé voir sa pièce au Théâtre national de Strasbourg et j’ai été ébloui. Cela a été pour moi une réelle expérience, à partir de ce spectacle, de chercher ce qui pouvait lier le théâtre et le cinéma. Superficiellement, ce sont peut-être des frères ennemis, mais profondément, ce sont des frères.

« Superficiellement, théâtre et cinéma sont peut-être des frères ennemis, mais profondément, ce sont des frères. »

Quel est ce lien ?

B. J. : Les acteurs. La représentation de soi pour un autre – qu’il soit le spectateur ou le metteur en scène –, dans la perspective d’un autre qu’on appelle personnage. Ce qu’on nommait dans l’Antiquité la persona, le rapport entre la personne de l’acteur et le personnage qu’il joue. A partir du moment où j’ai accepté de faire ce film, j’ai voulu le réaliser dans des conditions de cinéma, à commencer par emmener le théâtre en studio au lieu d’apporter les caméras dans un théâtre. Tournage en 35 mm, film en noir et blanc pour accentuer la dimension cinématographique, long temps de préparation et de tournage : c’étaient des conditions à l’opposé de ce qui se faisait à l’époque.

« Je suis devenu une référence pour tous ceux qui essayaient de penser les rapports entre théâtre et cinéma ! »

Comment le film a-t-il été accueilli lorsqu’il a été diffusé à la télévision en 1986 ?

B. J. : A ma grande surprise, il a eu un succès prodigieux. Il est très vite devenu une référence pour tous ceux qui essayaient de penser les rapports entre théâtre et cinéma. J’étais devenu celui qui avait résolu la question ! Cela m’amuse parce que je n’ai rien réglé du tout ! J’ai essayé à ma façon de mettre mon geste de cinéaste à la mesure de ce que j’avais éprouvé en voyant ce spectacle. Mais du coup, on s’est mis à me proposer plein de films. J’en ai réalisé quelques autres dont La Bête dans la jungle qui est je crois très réussi, et dont Alfredo Arias était heureux. Ce qui est intéressant, c’est de confronter le cinéma au théâtre, de filmer du théâtre et non d’essayer de transformer arbitrairement le théâtre en cinéma.

Dans la mesure où vous intervenez à partir de mises en scène d’autres artistes, comment imposer votre patte ?

B. J. : Il s’agit d’un détour paradoxal : c’est avec une certaine humilité du cinéaste devant le geste théâtral préalable que je pense pouvoir arriver à quelque chose d’absolument personnel. Je ne cherche pas à montrer autre chose que ce qui a été montré sur scène, mais je cherche à le montrer avec les moyens du cinéma qui sont les miens et qui, par conséquent, rendent personnel ce que je transcris au sens où c’est bien moi qui regarde ce que je donne à voir et qui le donne donc à voir à ma façon, qui est uniquement la mienne.

 

Propos recueillis par Isabelle Stibbe

A propos de l'événement


x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre