Entretien / Eric Lacascade
L’impossible recommencement ? Eric Lacascade [...]
Focus -224-Les Gémeaux, Scène nationale Sceaux
La Piccola Familia présente Henry VI – cycle 2, seconde moitié du triptyque shakespearien consacré à la geste royale des derniers Plantagenêt. Une course au chaos et une revendication d’indulgence mutuelle.
Pouvez-vous retracer les étapes de cette longue aventure qui s’achève avec ce second volet ?
Thomas Jolly : En 2004, alors élève comédien à l’école du TNB, j’ai découvert Henry VI et suis tombé en amour ! En 2009, lors d’un été de désœuvrement et de solitude, j’ai décidé de relire tout Shakespeare, et donc Henry VI, en me disant que j’avais envie de le monter. J’avais vingt-six ans à l’époque, ma compagnie en était à ses balbutiements. J’étais sûr que personne ne me suivrait dans cette aventure ! Mais le désir a point, et je n’ai écouté que ce désir inextinguible qui donne le courage et la force de soulever des montagnes ! Trois cents personnages, dix mille vers, la volonté d’ouvrir la compagnie à d’autres acteurs et de lancer un travail sur la durée : on a mis en place des « maKing Henry VI », en clin d’œil au Looking for Richard d’Al Pacino. Février 2010, septembre 2010, septembre 2011 : ces trois laboratoires ont réussi à convaincre, et, en janvier 2012, le cycle 1 a convaincu davantage encore. Avec cette pièce passionnante, on retrouve la dimension fédératrice du théâtre, ainsi que la dimension politique à laquelle il se doit : les citoyens rassemblés, en écoutant Shakespeare, retrouvent des outils de pensée et de discernement. Le spectacle a tourné pendant deux saisons et en janvier 2013, on a entrevu la possibilité de créer le cycle 2 en deux épisodes. Nous revenons aux Gémeaux présenter le cycle 2, après le cycle 1, l’an dernier.
Quelles nouveautés avec ce second cycle ?
T. J. : Le cycle 2 parachève ce qui s’amorce dans le cycle 1 et ouvre sur la suite : si j’étais assez fou, je monterais Richard III à la suite ! La nouvelle génération ayant chassé l’ancienne, elle prend le pouvoir et continue à faire dégénérer le royaume. Le cycle 1 est celui d’une mort propre ; le cycle 2 est à couteaux tirés : la barbarie et la violence crue ne s’embarrassent ni de détours ni de discours. Depuis le début du cycle 1, j’ai amorcé un geste théâtral complet. La pièce ne raconte pas seulement la course à la couronne de deux familles rivales, c’est aussi cinquante ans de la vie de l’Angleterre, qui périclite et dégénère : Shakespeare fait le portrait de cette chute vers le chaos, jusqu’à l’avènement du futur Richard III, qui incarne le chaos dans son âme et dans son corps. Shakespeare, cinq siècles après, continue de nous être contemporain.
Dans quelle mesure ?
T. J. : Pendant quatre ans, l’actualité a évolué et à chaque fois, Henry VI en a été l’écho. Un roi normal dans la pièce, un président normal dans la vie ; des dissensions entre politiciens ; la parité ; des précaires du Kent marchant sur Londres pour s’emparer des bâtiments d’Etat : Henry VI est un forum, une tribune. La pièce interroge la capacité de déformation des hommes par le pouvoir. Richard est déformé. Mais pour vouloir le pouvoir, ne faut-il pas être déjà déformé ? Henry est un roi pieux, juste, équitable, qui se fait terrasser par un monde qui avance plus vite que lui. Il est aussi question dans cette pièce du délitement d’une société. Un royaume florissant, riche, bien structuré entre en crise lorsque les enjeux personnels prennent le pas sur les enjeux collectifs. Le climat actuel est le même. La société n’est ni solidaire ni unie face à la crise. L’Histoire bégaie à nouveau. La crise nous divise sans que nous soyons capables de nous rassembler. Dès l’Antiquité, Sénèque réclamait un « traité d’indulgence mutuelle » : c’est ce que réclame Henry VI, et ce que je voudrais réclamer aussi. Henry VI n’est pas un faible, contrairement à ce qu’on croit souvent, c’est un humaniste bienveillant et solidaire qui n’est jamais entendu : cette parole politique que recouvre la violence est à réécouter.
Propos recueillis par Catherine Robert
Du 3 au 14 décembre 2014 à 20h, les samedis et dimanches à 15h.
Théâtre Les Gémeaux, Scène Nationale, 49, avenue Georges Clemenceau, 92 330 Sceaux. Spectacles du mardi au samedi à 20h45, le dimanche à 17h. Tél : 01 46 61 36 67. www.lesgemeaux.com
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