Entretien croisé / Muriel Mayette et Sulayman Al-Bassam
Rituel pour une métamorphose C’est au [...]
Focus -205-Trois Théâtres à Aix et Marseille
Emio Greco et Pieter C. Scholten créent L’Étranger, à partir du texte d’Albert Camus.
Avant L’Etranger, vous avez travaillé à partir d’un scénario de Pasolini, de La Divine Comédie de Dante… Peut-on dire que vous êtes intéressé par la capacité de la danse à assumer une dimension narrative ?
Emio Greco : Il peut effectivement y avoir un élément narratif, mais il survient plutôt sur le mode de “flashes“, d’images qui peuvent résonner avec une histoire. En-dehors de ces “flashes“, c’est sur un registre plus abstrait que la chorégraphie se construit : à l’origine de ce travail sur le texte, existe le désir de se mettre en relation avec quelque chose qui se déploie dans un autre langage, et de travailler avec la rythmique, la dynamique propres à cet autre objet. C’est-à-dire que la danse n’est pas la transposition ou la représentation d’un texte ; c’est une mise en contact, en dialogue.
Qu’est-ce qui, dans le texte de Camus, a retenu votre attention pour cette mise en dialogue de la littérature et de la danse ?
E. G. : En premier lieu, la question de l’absurdité. Des valeurs conventionnelles, normales aux yeux de tous, ne sont pas évidentes, pas même compréhensibles pour le personnage de Meursault. Le fait d’assister aux funérailles de sa mère, par exemple… Sans même le vouloir, presque malgré lui, il est révolutionnaire ! C’est l’élément central pour moi : le caractère révolutionnaire de l’absurdité. Or il y a là quelque chose qui fait écho à la force de la danse. Le corps est absolument concret, c’est ce qu’il y a de plus réel en nous, et pourtant ce qu’il dit nous échappe, échappe à la réalité. C’est une forme d’absurdité, dans laquelle réside, je pense, la force spécifique de la danse, qui diffère de celles d’autres arts, notamment ceux qui s’écrivent, comme la littérature et la musique, et qui sont plus aisément rationalisés.
Avez-vous commencé à penser à la scénographie de cette réflexion « en corps » ?
E. G. : Pieter C. Scholten et moi avons surtout commencé à penser à la lumière. L’éblouissement joue un rôle central dans le texte de Camus. Nous aimerions créer un environnement de lampes répondant à certaines impulsions rythmiques du corps, de façon à ce l’engagement corporel provoque des sortes de signaux, d’interférences lumineuses qui peuvent aussi nous renvoyer à la folie.
S’agirait-il d’un système de capteurs de mouvement ?
E. G. : C’est possible : en 2004, avec l’IRCAM, j’avais été le sujet et l’objet d’une recherche sur les capteurs. J’aimerais aujourd’hui poursuivre cette expérience, pour ce projet qui questionnerait aussi, en retour, l’influence de la lumière sur le corps.
Propos recueillis par Marie Chavanieux
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